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core plus grand, plus généreux, plus désintéressé qu’elle ne l’espérait. Elle arriva dans un appartement où Andrea s’était plu à rappeler son souvenir à son amie par quelques-unes de ces recherches qui séduisent les femmes les plus vertueuses.

— Je ne vous parlerai de mon amour qu’au moment où vous désespérerez de votre Paul, dit le comte à Marianna en revenant rue Froidmanteau. Vous serez témoin de la sincérité de mes efforts ; s’ils sont efficaces, peut-être ne saurai-je pas me résigner à mon rôle d’ami, mais alors je vous fuirai, Marianna. Si je me sens assez de courage pour travailler à votre bonheur, je n’aurai pas assez de force pour le contempler.

— Ne parlez pas ainsi, les générosités ont leur péril aussi, répondit-elle en retenant mal ses larmes. Mais quoi, vous me quittez déjà !

— Oui, dit Andrea, soyez heureuse sans distraction.

S’il fallait croire le cuisinier, le changement d’hygiène fut favorable aux deux époux. Tous les soirs après boire, Gambara paraissait moins absorbé, causait davantage et plus posément ; il parlait enfin de lire les journaux. Andrea ne put s’empêcher de frémir en voyant la rapidité inespérée de son succès ; mais quoique ses angoisses lui révélassent la force de son amour, elles ne le firent point chanceler dans sa vertueuse résolution. Il vint un jour reconnaître les progrès de cette singulière guérison. Si l’état de son malade lui causa d’abord quelque joie, elle fut troublée par la beauté de Marianna, à qui l’aisance avait rendu tout son éclat. Il revint dès lors chaque soir engager des conversations douces et sérieuses où il apportait les clartés d’une opposition mesurée aux singulières théories de Gambara. Il profitait de la merveilleuse lucidité dont jouissait l’esprit de ce dernier sur tous les points qui n’avoisinaient pas de trop près sa folie, pour lui faire admettre sur les diverses branches de l’art des principes également applicables plus tard à la musique. Tout allait bien tant que les fumées du vin échauffaient le cerveau du malade ; mais dès qu’il avait complétement recouvré, ou plutôt reperdu sa raison, il retombait dans sa manie. Néanmoins, Paolo se laissait déjà plus facilement distraire par l’impression des objets extérieurs, et déjà son intelligence se dispersait sur un plus grand nombre de points à la fois. Andrea, qui prenait un intérêt d’artiste à cette œuvre semi-médicale, crut enfin pouvoir frapper un grand coup. Il résolut de donner à son hôtel un