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leur étonnement succéda d’abord une admiration mêlée de surprise, puis une complète extase au milieu de laquelle ils oublièrent et le lieu et l’homme. Les effets d’orchestre n’eussent pas été si grandioses que le furent les sons des instruments à vent qui rappelaient l’orgue et qui s’unirent merveilleusement aux richesses harmoniques des instruments à cordes ; mais l’état imparfait dans lequel se trouvait cette singulière machine arrêtait les développements du compositeur, dont la pensée parut alors plus grande. Souvent la perfection dans les œuvres d’art empêche l’âme de les agrandir. N’est-ce pas le procès gagné par l’esquisse contre le tableau fini, au tribunal de ceux qui achèvent l’œuvre par la pensée, au lieu de l’accepter toute faite ? La musique la plus pure et la plus suave que le comte eût jamais entendue s’éleva sous les doigts de Gambara comme un nuage d’encens au-dessus d’un autel. La voix du compositeur redevint jeune ; et, loin de nuire à cette riche mélodie, son organe l’expliqua, la fortifia, la dirigea, comme la voix atone et chevrotante d’un habile lecteur, comme l’était Andrieux, étendait le sens d’une sublime scène de Corneille ou de Racine en y ajoutant une poésie intime. Cette musique digne des anges accusait les trésors cachés dans cet immense opéra, qui ne pouvait jamais être compris, tant que cet homme persisterait à s’expliquer dans son état de raison. Egalement partagés entre la musique et la surprise que leur causait cet instrument aux cent voix, dans lequel un étranger aurait pu croire que le facteur avait caché des jeunes filles invisibles, tant les sons avaient par moments d’analogie avec la voix humaine, le comte et Marianna n’osaient se communiquer leurs idées ni par le regard ni par la parole. Le visage de Marianna était éclairé par une magnifique lueur d’espérance qui lui rendit les splendeurs de la jeunesse. Cette renaissance de sa beauté, qui s’unissait à la lumineuse apparition du génie de son mari, nuança d’un nuage de chagrin les délices que cette heure mystérieuse donnait au comte.

— Vous êtes notre bon génie, lui dit Marianna. Je suis tentée de croire que vous l’inspirez, car moi, qui ne le quitte point, je n’ai jamais entendu pareille chose.

— Et les adieux de Cadhige ! s’écria Gambara qui chanta la cavatine à laquelle il avait donné la veille l’épithète de sublime et qui fit pleurer les deux amants, tant elle exprimait bien le dévouement le plus élevé de l’amour.