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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

ger de ma croyance innocente et la superfluité de mes fervents travaux. Ces approvisionnements sont inutiles à l’ambitieux : que léger soit le bagage de qui poursuit la fortune. La faute des hommes supérieurs est de dépenser leurs jeunes années à se rendre dignes de la faveur. Pendant qu’ils thésaurisent, leur force est la science pour porter sans effort le poids d’une puissance qui les fuit ; les intrigants, riches de mots et dépourvus d’idées, vont et viennent, surprennent les sots, et se logent dans la confiance des demi-niais : les uns étudient, les autres marchent ; les uns sont modestes, les autres hardis ; l’homme de génie tait son orgueil, l’intrigant arbore le sien et doit arriver nécessairement. Les hommes du pouvoir ont si fort besoin de croire au mérite tout fait, au talent effronté, qu’il y a chez le vrai savant de l’enfantillage à espérer des récompenses humaines. Je ne cherche certes pas à paraphraser les lieux communs de la vertu, le cantique des cantiques éternellement chanté par les génies méconnus ; je veux déduire logiquement la raison des fréquents succès obtenus par les hommes médiocres. Hélas ! l’étude est si maternellement bonne, qu’il y a peut-être crime à lui demander des récompenses autres que les pures et douces joies dont elle nourrit ses enfants. Je me souviens d’avoir quelquefois trempé gaiement mon pain dans mon lait, assis auprès de ma fenêtre en y respirant l’air, en laissant planer mes yeux sur un paysage de toits bruns, grisâtres, rouges, en ardoises, en tuiles, couverts de mousses jaunes ou vertes. Si d’abord cette vue me parut monotone, j’y découvris bientôt de singulières beautés : tantôt le soir des raies lumineuses, parties des volets mal fermés, nuançaient et animaient les noires profondeurs de ce pays original ; tantôt les lueurs pâles des réverbères projetaient d’en bas des reflets jaunâtres à travers le brouillard, et accusaient faiblement dans les rues les ondulations de ces toits pressés, océan de vagues immobiles ; parfois de rares figures apparaissaient au milieu de ce morne désert. Parmi les fleurs de quelque jardin aérien, j’entrevoyais le profil anguleux et crochu d’une vieille femme arrosant des capucines, ou dans le cadre d’une lucarne pourrie quelque jeune fille faisant sa toilette, se croyant seule, et dont je ne pouvais apercevoir que le beau front et les longs cheveux élevés en l’air par un joli bras blanc. J’admirais dans les gouttières quelques végétations éphémères, pauvres herbes bientôt emportées par un orage ! J’étudiais les mousses, leurs couleurs ravivées par la pluie, et qui sous le soleil se changeaient