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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

dissimulé ; le despotisme de mon père m’avait ôté toute confiance en moi ; j’étais timide et gauche, je ne croyais pas que ma voix pût exercer le moindre empire, je me déplaisais, je me trouvais laid, j’avais honte de mon regard. Malgré la voix intérieure qui doit soutenir les hommes de talent dans leurs luttes, et qui me criait : Courage ! marche ! malgré les révélations soudaines de ma puissance dans la solitude, malgré l’espoir dont j’étais animé en comparant les ouvrages nouveaux admirés du public à ceux qui voltigeaient dans ma pensée, je doutais de moi comme un enfant. J’étais la proie d’une excessive ambition, je me croyais destiné à de grandes choses, et me sentais dans le néant. J’avais besoin des hommes, et je me trouvais sans amis ; je devais me frayer une route dans le monde, et j’y restais seul, moins craintif que honteux. Pendant l’année où je fus jeté par mon père dans le tourbillon de la haute société, j’y vins avec un cœur neuf, avec une âme fraîche. Comme tous les grands enfants, j’aspirai secrètement à de belles amours. Je rencontrai parmi les jeunes gens de mon âge une secte de fanfarons qui allaient tête levée, disant des riens, s’asseyant sans trembler près des femmes qui me semblaient les plus imposantes, débitant des impertinences, mâchant le bout de leurs cannes, minaudant, se prostituant à eux-mêmes les plus jolies personnes, mettant ou prétendant avoir mis leurs têtes sur tous les oreillers, ayant l’air d’être au refus du plaisir, considérant les plus vertueuses, les plus prudes comme de prise facile et pouvant être conquises à la simple parole, au moindre geste hardi, par le premier regard insolent ! Je te le déclare, en mon âme et conscience, la conquête du pouvoir ou d’une grande renommée littéraire me paraissait un triomphe moins difficile à obtenir qu’un succès auprès d’une femme de haut rang, jeune, spirituelle et gracieuse. Je trouvai donc les troubles de mon cœur, mes sentiments, mes cultes en désaccord avec les maximes de la société. J’avais de la hardiesse, mais dans l’âme seulement, et non dans les manières. J’ai su plus tard que les femmes ne voulaient pas être mendiées. J’en ai beaucoup vu que j’adorais de loin, auxquelles je livrais un cœur à toute épreuve, une âme à déchirer, une énergie qui ne s’effrayait ni des sacrifices, ni des tortures ; elles appartenaient à des sots dont je n’aurais pas voulu pour portiers. Combien de fois, muet, immobile, n’ai-je pas admiré la femme de mes rêves, surgissant dans un bal ! Dévouant alors en pensée mon existence à des caresses éternelles, j’imprimais toutes