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— Papa dit qu’il fait de l’or, dit un autre.

— Par où ? C’est-y par là ou par ici ? » ajouta un troisième en montrant d’un geste goguenard cette partie d’eux-mêmes que les écoliers se montrent si souvent en signe de mépris.

Le plus petit de la bande qui avait son panier plein de provisions, et qui léchait une tartine beurrée, s’avança naïvement vers le banc et dit à Lemulquinier : « C’est-y vrai, monsieur, que vous faites des perles et des diamants ?

— Oui, mon petit milicien, répondit Lemulquinier en souriant et lui frappant sur la joue, nous t’en donnerons quand tu seras bien savant.

— Ah ! monsieur, donnez-m’en aussi », fut une exclamation générale.

Tous les enfants accoururent comme une nuée d’oiseaux et entourèrent les deux chimistes. Balthazar, absorbé dans une méditation d’où il fut tiré par ces cris, fit alors un geste d’étonnement qui causa un rire général.

« Allons, gamins, respect à un grand homme ! dit Lemulquinier.

— À la chienlit ! crièrent les enfants. Vous êtes des sorciers. ─ Oui, sorciers, vieux sorciers ! sorciers, na ! » Lemulquinier se dressa sur ses pieds, et menaça de sa canne les enfants qui s’enfuirent en ramassant de la boue et des pierres. Un ouvrier, qui déjeunait à quelques pas de là, ayant vu Lemulquinier levant sa canne pour faire sauver les enfants, crut qu’il les avait frappés, et les appuya par ce mot terrible : « À bas les sorciers ! » Les enfants, se sentant soutenus, lancèrent leurs projectiles qui atteignirent les deux vieillards, au moment où le comte de Solis se montrait au bout de la place, accompagné des domestiques de Pierquin. Ils n’arrivèrent pas assez vite pour empêcher les enfants de couvrir de boue le grand vieillard et son valet de chambre. Le coup était porté.

Balthazar, dont les facultés avaient été jusqu’alors conservées par la chasteté naturelle aux savants chez qui la préoccupation d’une découverte anéantit les passions, devina, par un phénomène d’intussusception le secret de cette scène ; son corps décrépit ne soutint pas la réaction affreuse qu’il éprouva dans la haute région de ses sentiments, il tomba frappé d’une attaque de paralysie entre les bras de Lemulquinier qui le ramena chez lui sur un brancard, entouré par ses deux gendres et par leurs gens. Aucune puissance ne put empêcher la populace de Douai d’escorter