Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/464

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Hélas ! mon pauvre aimé, ne faisons-nous pas là quelque chose de mal ? dit-elle tout émue, car nous attendrons longtemps.

— Mon oncle disait que l’adoration était le pain quotidien de la patience, en parlant du chrétien qui aime Dieu. Je puis t’aimer ainsi, je t’ai, depuis longtemps, confondue avec le Seigneur de toutes choses : je suis à toi, comme je suis à lui. » Ils restèrent pendant quelques moments en proie à la plus douce exaltation. Ce fut la sincère et calme effusion d’un sentiment qui, semblable à une source trop pleine, débordait par de petites vagues incessantes. Les événements qui séparaient ces deux amants étaient un sujet de mélancolie qui rendit leur bonheur plus vif, en lui donnant quelque chose d’aigu comme la douleur ; Félicie revint trop tôt pour eux. Emmanuel, éclairé par le tact délicieux qui fait tout deviner en amour, laissa les deux sœurs seules, après avoir échangé avec Marguerite un regard où elle put voir tout ce que lui coûtait cette discrétion, car il y exprima combien il était avide de ce bonheur désiré si longtemps, et qui venait d’être consacré par les fiançailles du cœur.

« Viens ici, petite sœur », dit Marguerite en prenant Félicie par le cou. Puis, la ramenant dans le jardin, elles allèrent s’asseoir sur le banc auquel chaque génération avait confié ses paroles d’amour, ses soupirs de douleur, ses méditations et ses projets. Malgré le ton joyeux et l’aimable jeunesse du sourire de sa sœur, Félicie éprouvait une émotion qui ressemblait à un mouvement de peur, Marguerite lui prit la main et la sentit trembler.

« Mademoiselle Félicie, dit l’aînée en s’approchant de l’oreille de sa sœur, je lis dans votre âme.

Pierquin est venu souvent pendant mon absence, il est venu tous les soirs, il vous a dit de douces paroles, et vous les avez écoutées. » Félicie rougit.

« Ne t’en défends pas, mon ange, reprit Marguerite, il est si naturel d’aimer ! Peut-être ta chère âme changera-t-elle un peu la nature du cousin, il est égoïste, intéressé, mais c’est un honnête homme ; et sans doute ses défauts serviront à ton bonheur.

Il t’aimera comme la plus jolie de ses propriétés, tu feras partie de ses affaires. Pardonne-moi ce mot, chère amie ? tu le corrigeras des mauvaises habitudes qu’il a prises de ne voir partout que des intérêts, en lui apprenant les affaires du cœur. » Félicie ne put qu’embrasser sa sœur. « D’ailleurs, reprit Marguerite, il a de la fortune. Sa famille est de la plus haute et de la plus ancienne bourgeoisie. Mais serait-ce donc moi