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je vends mon étude et je suis un homme de cin-quan-te-mille-li-vres-de-ren-te. Ma femme est une Claës, je suis allié à des maisons considérables. Diantre, nous verrons si les Courteville, les Magalhens, les Savaron de Savarus refuseront de venir chez un Pierquin-Claës-Molina-Nourho. Je serai maire de Douai, j’aurai la croix, je puis être député, j’arrive à tout. Ah çà, Pierquin, mon garçon, tiens-toi là, ne faisons plus de sottises, d’autant que, ma parole d’honneur, Félicie… Mlle Félicie Van Claës, elle t’aime. » Quand les deux amants furent seuls, Emmanuel tendit une main à Marguerite qui ne put s’empêcher d’y mettre sa main droite. Ils se levèrent par un mouvement unanime en se dirigeant vers leur banc dans le jardin ; mais au milieu du parloir, l’amant ne put résister à sa joie, et d’une voix que l’émotion rendit tremblante, il dit à Marguerite :

« J’ai trois cent mille francs à vous !…

— Comment, s’écria-t-elle, ma pauvre mère vous aurait encore confié ?… Non. Quoi ?

— Oh ! ma Marguerite, ce qui est à moi, n’est-il pas à vous ? N’est-ce pas vous qui la première avez dit nous ?

— Cher Emmanuel », dit-elle en pressant la main qu’elle tenait toujours ; et, au lieu d’aller au jardin, elle se jeta dans la bergère.

« N’est-ce pas à moi de vous remercier, dit-il avec sa voix d’amour, puisque vous acceptez.

— Ce moment, dit-elle, mon cher bien-aimé, efface bien des douleurs, et rapproche un heureux avenir ! Oui, j’accepte ta fortune, reprit-elle en laissant errer sur ses lèvres un sourire d’ange, je sais le moyen de la faire mienne. » Elle regarda le portrait de Van Claës comme pour avoir un témoin. Le jeune homme qui suivait les regards de Marguerite ne lui vit pas tirer de son doigt une bague de jeune fille, et ne s’aperçut de ce geste qu’au moment où il entendit ces paroles : « Au milieu de nos profondes misères, il surgit un bonheur. Mon père me laisse, par insouciance, la libre disposition de moi-même, dit-elle en tendant la bague, prends, Emmanuel ? Ma mère te chérissait, elle t’aurait choisi. » Les larmes vinrent aux yeux d’Emmanuel, il pâlit, tomba sur ses genoux, et dit à Marguerite en lui donnant un anneau qu’il portait toujours :

« Voici l’alliance de ma mère ! Ma Marguerite, reprit-il en baisant la bague, n’aurai-je donc d’autre gage que ceci ! » Elle se baissa pour apporter son front aux lèvres d’Emmanuel.