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— Non, non, il faut la laisser telle qu’elle est. Le repos et le temps sont des conditions essentielles à la cristallisation…

— Parbleu, faut qu’elle prenne son temps, cette cristallisation, s’écria le valet de chambre.

— Si la température baisse, le sulfure de carbone se cristallisera, dit Balthazar en continuant d’exprimer par lambeaux les pensées indistinctes d’une méditation complète dans son entendement ; mais si l’action de la pile opère dans certaines conditions que j’ignore… Il faudrait surveiller cela…

il est possible… Mais à quoi pensé-je ? il ne s’agit plus de Chimie, mon ami, nous devons aller gérer une recette en Bretagne. » Claës sortit précipitamment, et descendit pour faire un dernier déjeuner de famille auquel assistèrent Pierquin et M. de Solis. Balthazar, pressé d’en finir avec son agonie scientifique, dit adieu à ses enfants et monta en voiture avec son oncle, toute la famille l’accompagna sur le seuil de la porte. Là, quand Marguerite eut embrassé son père par une étreinte désespérée, à laquelle il répondit en lui disant à l’oreille : « Tu es une bonne fille, et je ne t’en voudrai jamais ! » elle franchit la cour, se sauva dans le parloir, s’agenouilla à la place où sa mère était morte, et fit une ardente prière à Dieu pour lui demander la force d’accomplir les rudes travaux de sa nouvelle vie. Elle était déjà fortifiée par une voix intérieure qui lui avait jeté dans le cœur les applaudissements des anges et les remerciements de sa mère, quand sa sœur, son frère Emmanuel et Pierquin rentrèrent après avoir regardé la calèche jusqu’à ce qu’ils ne la vissent plus.

« Maintenant, mademoiselle, qu’allez-vous faire ? lui dit Pierquin.

— Sauver la maison, répondit-elle avec simplicité.

Nous possédons près de treize cents arpents à Waignies. Mon intention est de les faire défricher, les partager en trois fermes, construire les bâtiments nécessaires à leur exploitation, les louer ; et je crois qu’en quelques années avec beaucoup d’économie et de patience, chacun de nous, dit-elle en montrant sa sœur et son frère, aura une ferme de quatre cents et quelques arpents qui pourra valoir, un jour, près de quinze mille francs de rente. Mon frère Gustave gardera pour sa part cette maison et ce qu’il possède sur le Grand Livre.

Puis nous rendrons un jour à notre père sa fortune dégagée de toute obligation en consacrant nos revenus à l’acquittement de ses dettes.