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« Monsieur, dit-il en tremblant, votre engagement est sans valeur, pardonnez-moi cette expression purement technique ; j’ai prêté ce matin à mademoiselle cent mille francs pour racheter des lettres de change que vous étiez hors d’état de payer, vous ne sauriez donc me donner aucune garantie.

Ces cent soixante-dix mille francs sont à mademoiselle votre fille qui peut en disposer comme bon lui semble, mais je ne les lui prête que sur la promesse qu’elle m’a faite de souscrire un contrat avec lequel je puisse prendre mes sûretés sur sa part dans les terrains nus de Waignies. » Marguerite détourna la tête pour ne pas laisser voir les larmes qui lui vinrent aux yeux, elle connaissait la pureté de cœur qui distinguait Emmanuel. Élevé par son oncle dans la pratique la plus sévère des vertus religieuses, le jeune homme avait spécialement horreur du mensonge ; après avoir offert sa vie et son cœur à Marguerite, il lui faisait donc encore le sacrifice de sa conscience.

« Adieu, monsieur, lui dit Balthazar, je vous croyais plus de confiance dans un homme qui vous voyait avec des yeux de père. » Après avoir échangé avec Marguerite un déplorable regard, Emmanuel fut reconduit par Martha qui ferma la porte de la rue. Au moment où le père et la fille furent bien seuls, Claës dit à sa fille : « Tu m’aimes, n’est-ce pas ?

— Ne prenez pas de détours, mon père. Vous voulez cette somme, vous ne l’aurez point. » Elle se mit à rassembler les ducats, son père l’aida silencieusement à les ramasser et à vérifier la somme qu’elle avait semée, et Marguerite le laissa faire sans lui témoigner la moindre défiance.

Les deux mille ducats remis en pile, Balthazar dit d’un air désespéré : « Marguerite, il me faut cet or !

— Ce serait un vol si vous le preniez, répondit-elle froidement. Écoutez, mon père : il vaut mieux nous tuer d’un seul coup, que de nous faire souffrir mille morts chaque jour. Voyez, qui de vous, qui de nous doit succomber.

— Vous aurez donc assassiné votre père, reprit-il.

— Nous aurons vengé notre mère, dit-elle en montrant la place où Mme Claës était morte.

— Ma fille, si tu savais ce dont il s’agit, tu ne me dirais pas de telles paroles. Écoute, je vais t’expliquer le problème… Mais tu ne me comprendras pas ? s’écria-t-il avec désespoir. Enfin, donne ! crois une fois en ton père. Oui, je sais que j’ai fait de la peine à