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nous ni de lui, car je ne sais pas comment il peut vivre dans ce grenier dont l’air est brûlant.

— Que pouvez-vous attendre d’un homme qui à tout moment s’écrie comme Richard III : "Mon royaume pour un cheval ! " dit Emmanuel. Il sera toujours impitoyable, et vous devez l’être autant que lui. Payez ses lettres de change, donnez-lui, si vous voulez, votre fortune ; mais celle de votre sœur, celle de vos frères n’est ni à vous ni à lui.

— Donner ma fortune ? dit-elle en serrant la main d’Emmanuel et lui jetant un regard de feu, vous me le conseillez, vous ! tandis que Pierquin faisait mille mensonges pour me la conserver.

— Hélas ! peut-être suis-je égoïste à ma manière ? dit-il. Tantôt je vous voudrais sans fortune, il me semble que vous seriez plus près de moi ; tantôt je vous voudrais riche, heureuse, et je trouve qu’il y a de la petitesse à se croire séparés par les pauvres grandeurs de la fortune.

— Cher ! ne parlons pas de nous…

— Nous ! » répéta-t-il avec ivresse. Puis après une pause, il ajouta : « Le mal est grand, mais il n’est pas irréparable.

— Il se réparera par nous seuls, la famille Claës n’a plus de chef. Pour en arriver à ne plus être ni père ni homme, n’avoir aucune notion du juste et de l’injuste, car lui, si grand, si généreux, si probe, il a dissipé malgré la loi le bien des enfants auxquels il doit servir de défenseur ! dans quel abîme est-il donc tombé ? Mon Dieu ! que cherche-t-il donc ?

— Malheureusement, ma chère Marguerite, s’il a tort comme chef de famille, il a raison scientifiquement ; et une vingtaine d’hommes en Europe l’admireront, là où tous les autres le taxeront de folie ; mais vous pouvez sans scrupule lui refuser la fortune de ses enfants. Une découverte a toujours été un hasard. Si votre père doit rencontrer la solution de son problème, il la trouvera sans tant de frais, et peut-être au moment où il en désespérera !

— Ma pauvre mère est heureuse, dit Marguerite, elle aurait souffert mille fois la mort avant de mourir, elle qui a péri à son premier choc contre la Science. Mais ce combat n’a pas de fin…

— Il y a une fin, reprit Emmanuel. Quand vous n’aurez plus rien, M. Claës ne trouvera plus de crédit, et s’arrêtera.