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— Tu as raison, mon enfant, dans six semaines tout sera fini ! J’aurai trouvé l’Absolu, ou l’Absolu sera introuvable. Vous serez tous riches à millions…

— Laissez-nous pour le moment un morceau de pain, répondit Marguerite.

— Il n’y a pas de pain ici, dit Claës d’un air effrayé, pas de pain chez un Claës. Et tous nos biens ?

— Vous avez rasé la forêt de Waignies. Le sol n’en est pas encore libre, et ne peut rien produire.

Quant à vos fermes d’orchies, les revenus ne suffisent point à payer les intérêts des sommes que vous avez empruntées.

— Avec quoi vivons-nous donc », demanda-t-il.

Marguerite lui montra son aiguille, et ajouta :

« Les rentes de Gabriel nous aident, mais elles sont insuffisantes. Je joindrais les deux bouts de l’année si vous ne m’accabliez de factures auxquelles je ne m’attends pas, vous ne me dites rien de vos achats en ville. Quand je crois avoir assez pour mon trimestre, et que mes petites dispositions sont faites, il m’arrive un mémoire de soude, de potasse, de zinc, de soufre, que sais-je ?

— Ma chère enfant, encore six semaines de patience ; après, je me conduirai sagement. Et tu verras des merveilles, ma petite Marguerite.

— Il est bien temps que vous pensiez à vos affaires. Vous avez tout vendu : tableaux, tulipes, argenterie, il ne nous reste plus rien ; au moins, ne contractez pas de nouvelles dettes.

— Je n’en veux plus faire, dit le vieillard.

— Plus, s’écria-t-elle. Vous en avez donc ?

— Rien, des misères », répondit-il en baissant les yeux et rougissant.

Marguerite se trouva pour la première fois humiliée par l’abaissement de son père, et en souffrit tant qu’elle n’osa l’interroger. Un mois après cette scène, un banquier de la ville vint pour toucher une lettre de change de dix mille francs, souscrite par Claës. Marguerite ayant prié le banquier d’attendre pendant la journée en témoignant le regret de n’avoir pas été prévenue de ce paiement, celui-ci l’avertit que la maison Protez et Chiffreville en avait neuf autres de même somme, échéant de mois en mois.

« Tout est dit, s’écria Marguerite, l’heure est venue. » Elle envoya chercher son père et se promena tout agitée à