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Marguerite, obtenu de Claës toutes les garanties désirables. Les plans si sagement conçus par Emmanuel de Solis furent entièrement approuvés et exécutés. En présence de la loi, devant son cousin dont la probité farouche transigeait difficilement sur les questions d’honneur, Balthazar, honteux de la vente qu’il avait consentie dans un moment où il était harcelé par ses créanciers, se soumit à tout ce qu’on exigea de lui. Satisfait de pouvoir réparer le dommage qu’il avait presque involontairement fait à ses enfants, il signa les actes avec la préoccupation d’un savant.

Il était devenu complètement imprévoyant à la manière des nègres qui, le matin, vendent leur femme pour une goutte d’eau-de-vie, et la pleurent le soir. Il ne jetait même pas les yeux sur son avenir le plus proche, il ne se demandait pas quelles seraient ses ressources, quand il aurait fondu son dernier écu ; il poursuivait ses travaux, continuait ses achats, sans savoir qu’il n’était plus que le possesseur titulaire de sa maison, de ses propriétés, et qu’il lui serait impossible, grâce à la sévérité des lois, de se procurer un sou sur les biens desquels il était en quelque sorte le gardien judiciaire. L’année 1818 expira sans aucun événement malheureux. Les deux jeunes filles payèrent les frais nécessités par l’éducation de Jean, et satisfirent à toutes les dépenses de leur maison, avec les dix-huit mille francs de rente, placés sous le nom de Gabriel, dont les semestres leur furent envoyés exactement par leur frère. M. de Solis perdit son oncle dans le mois de décembre de cette année. Un matin, Marguerite apprit par Martha que son père avait vendu sa collection de tulipes, le mobilier de la maison de devant, et toute l’argenterie. Elle fut obligée de racheter les couverts nécessaires au service de la table, et les fit marquer à son chiffre. Jusqu’à ce jour elle avait gardé le silence sur les déprédations de Balthazar ; mais le soir, après le dîner, elle pria Félicie de la laisser seule avec son père, et quand il fut assis, suivant son habitude, au coin de la cheminée du parloir, Marguerite lui dit : « Mon cher père, vous êtes le maître de tout vendre ici, même vos enfants.

Ici, nous vous obéirons tous sans murmure ; mais je suis forcée de vous faire observer que nous sommes sans argent, que nous avons à peine de quoi vivre cette année, et que nous serons obligées, Félicie et moi, de travailler nuit et jour pour payer la pension de Jean, avec le prix de la robe de dentelle que nous avons entreprise. Je vous en conjure, mon bon père, discontinuez vos travaux.