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rurales de Balthazar, qui rapportaient seize mille francs et valaient environ deux cent mille écus, étaient déjà grevées de trois cent mille francs d’hypothèques. Avant de se remettre à la Chimie, Claës avait fait un emprunt considérable. Le revenu suffisait précisément au paiement des intérêts ; mais comme, avec l’imprévoyance naturelle aux hommes voués à une idée, il abandonnait ses fermages à Marguerite pour subvenir aux dépenses de la maison, le notaire avait calculé que trois ans suffiraient pour mettre le feu aux affaires, et que les gens de justice dévoreraient ce que Balthazar n’aurait pas mangé.

La froideur de Marguerite avait amené Pierquin à un état d’indifférence presque hostile. Pour se donner le droit de renoncer à la main de sa cousine, si elle devenait trop pauvre, il disait des Claës avec un air de compassion : « Ces pauvres gens sont ruinés, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour les sauver ; mais que voulez-vous ! Mlle Claës s’est refusée à toutes les combinaisons légales qui devaient les préserver de la misère. » Nommé proviseur du collège de Douai, par la protection de son oncle, Emmanuel, que son mérite transcendant avait fait digne de ce poste, venait voir tous les jours pendant la soirée les deux jeunes filles qui appelaient près d’elles la duègne aussitôt que leur père se couchait. Le coup de marteau doucement frappé par le jeune de Solis ne tardait jamais. Depuis trois mois, encouragé par la gracieuse et muette reconnaissance avec laquelle Marguerite acceptait ses soins, il était devenu lui-même. Les rayonnements de son âme pure comme un diamant brillèrent sans nuages, et Marguerite put en apprécier la force, la durée en voyant combien la source en était inépuisable.

Elle admirait une à une s’épanouir les fleurs, après en avoir respiré par avance les parfums. Chaque jour, Emmanuel réalisait une des espérances de Marguerite, et faisait luire dans les régions enchantées de l’amour de nouvelles lumières qui chassaient les nuages, rassérénaient leur ciel, et coloraient les fécondes richesses ensevelies jusque-là dans l’ombre. Plus à son aise, Emmanuel put déployer les séductions de son cœur jusqu’alors discrètement cachées : cette expansive gaieté du jeune âge, cette simplicité que donne une vie remplie par l’étude, et les trésors d’un esprit délicat que le monde n’avait pas adultéré, toutes les innocentes joyeusetés qui vont si bien à la jeunesse aimante. Son âme et celle de Marguerite s’entendirent mieux, ils allèrent ensemble au fond de leurs cœurs et y trouvèrent les mêmes pensées : perles d’un