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pas tes sentiments, jetterait le trouble dans la famille et tourmenterait ton père. » Marguerite regarda sa mère et lui dit :

« N’avez-vous aucune autre recommandation à me faire sur mon mariage ?

— Hésiterais-tu, ma chère enfant ? dit la mourante avec effroi.

— Non, répondit-elle, je vous promets de vous obéir.

— Pauvre fille, je n’ai pas su me sacrifier pour vous, ajouta la mère en versant des larmes chaudes, et je te demande de te sacrifier pour tous. Le bonheur rend égoïste. Oui, Marguerite, j’ai été faible parce que j’étais heureuse. Sois forte, conserve de la raison pour ceux qui n’en auront pas ici. Fais en sorte que tes frères, que ta sœur ne m’accusent jamais. Aime bien ton père, mais ne le contrarie pas… trop. » Elle pencha la tête sur son oreiller et n’ajouta pas un mot, ses forces l’avaient trahie. Le combat intérieur entre la Femme et la Mère avait été trop violent. Quelques instants après, le clergé vint, précédé de l’abbé de solis, et le parloir fut rempli par les gens de la maison. Quand la cérémonie commença, Mme Claës, que son confesseur avait réveillée, regarda toutes les personnes qui étaient autour d’elle, et n’y vit pas Balthazar.

« Et monsieur ? » dit-elle.

Ce mot, où se résumait et sa vie et sa mort, fut prononcé d’un ton si lamentable, qu’il causa un frémissement horrible dans l’assemblée. Malgré son grand âge, Martha s’élança comme une flèche, monta les escaliers et frappa durement à la porte du laboratoire.

« Monsieur, madame se meurt, et l’on vous attend pour l’administrer, cria-t-elle avec la violence de l’indignation.

— Je descends », répondit Balthazar.

Lemulquinier vint un moment après, en disant que son maître le suivait. Mme Claës ne cessa de regarder la porte du parloir, mais son mari ne se montra qu’au moment où la cérémonie était terminée. L’abbé de solis et les enfants entouraient le chevet de la mourante. En voyant entrer son mari, Joséphine rougit, et quelques larmes roulèrent sur ses joues.

« Tu allais sans doute décomposer l’azote, lui dit-elle avec une douceur d’ange qui fit frissonner les assistants.

— C’est fait, s’écria-t-il d’un air joyeux. L’azote contient de l’oxygène et une substance de la nature des impondérables qui vraisemblablement est le principe de la… »