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« J’avais à vous parler aussi, ma chère maman, dit Marguerite qui ne croyant pas sa mère aussi mal qu’elle l’était agrandit la blessure faite par Pierquin. Depuis dix jours, je n’ai plus d’argent pour les dépenses de la maison, et je dois aux domestiques six mois de gages. J’ai voulu déjà deux fois demander de l’argent à mon père, et je ne l’ai pas osé. Vous ne savez pas ! les tableaux de la galerie et la cave ont été vendus.

— Il ne m’a pas dit un mot de tout cela, s’écria Mme Claës. mon Dieu ! vous me rappelez à temps vers vous. Mes pauvres enfants, que deviendrez-vous ? » Elle fit une prière ardente qui lui teignit les yeux des feux du repentir. « Marguerite, reprit-elle en tirant la lettre de dessous son chevet, voici un écrit que vous n’ouvrirez et ne lirez qu’au moment où, après ma mort, vous serez dans la plus grande détresse, c’est-à-dire si vous manquiez de pain ici. Ma chère Marguerite, aime bien ton père, mais aie soin de ta sœur et de tes frères.

Dans quelques jours, dans quelques heures peut-être ! tu vas être à la tête de la maison. sois économe. si tu te trouvais opposée aux volontés de ton père, et le cas pourrait arriver, puisqu’il a dépensé de grandes sommes à chercher un secret dont la découverte doit être l’objet d’une gloire et d’une fortune immense, il aura sans doute besoin d’argent, peut-être t’en demandera-t-il, déploie alors toute la tendresse d’une fille, et sache concilier les intérêts dont tu seras la seule protectrice avec ce que tu dois à un père, à un grand homme qui sacrifie son bonheur, sa vie, à l’illustration de sa famille ; il ne pourrait avoir tort que dans la forme, ses intentions seront toujours nobles, il est si excellent, son cœur est plein d’amour ; vous le reverrez bon et affectueux, vous ! J’ai dû te dire ces paroles sur le bord de la tombe, Marguerite si tu veux adoucir les douleurs de ma mort, tu me promettras, mon enfant, de me remplacer près de ton père, de ne lui point causer de chagrin ; ne lui reproche rien, ne le juge pas ! Enfin, sois une médiatrice douce et complaisante jusqu’à ce que, son œuvre terminée, il redevienne le chef de sa famille.

— Je vous comprends, ma mère chérie, dit Marguerite en baisant les yeux enflammés de la mourante, et je ferai comme il vous plaît.

— Ne te marie, mon ange, reprit Mme Claës, qu’au moment où Gabriel pourra te succéder dans le gouvernement des affaires et de la maison. Ton mari, si tu te mariais, ne partagerait peut-être