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doute d’une importune pensée ; puis, le lendemain, il se levait mélancolique en apercevant une journée à traverser, et semblait mesurer le temps qu’il avait à consumer, comme un voyageur lassé contemple un désert à franchir. Si Mme Claës connaissait la cause de cette langueur, elle s’efforça d’ignorer combien les ravages en étaient étendus. Pleine de courage contre les souffrances de l’esprit, elle était sans force contre les générosités du cœur. Elle n’osait questionner Balthazar quand il écoutait les propos de ses deux filles et les rires de Jean avec l’air d’un homme occupé par une arrière-pensée ; mais elle frémissait en lui voyant secouer sa mélancolie et tâcher, par un sentiment généreux, de paraître gai pour n’attrister personne. Les coquetteries du père avec ses deux filles, ou ses jeux avec Jean, mouillaient de pleurs les yeux de Joséphine qui sortait pour cacher les émotions que lui causait un héroïsme dont le prix est bien connu des femmes, et qui leur brise le cœur ; Mme Claës avait alors envie de dire : « Tue-moi, et fais ce que tu voudras ! » Insensiblement, les yeux de Balthazar perdirent leur feu vif, et prirent cette teinte glauque qui attriste ceux des vieillards. Ses attentions pour sa femme, ses paroles, tout en lui fut frappé de lourdeur. Ces symptômes devenus plus graves vers la fin du mois d’avril effrayèrent Mme Claës, pour qui ce spectacle était intolérable, et qui s’était déjà fait mille reproches en admirant la foi flamande avec laquelle son mari tenait sa parole. Un jour que Balthazar lui sembla plus affaissé qu’il ne l’avait jamais été, elle n’hésita plus à tout sacrifier pour le rendre à la vie.

« Mon ami, lui dit-elle, je te délie de tes serments. » Balthazar la regarda d’un air étonné.

« Tu penses à tes expériences ? » reprit-elle.

Il répondit par un geste d’une effrayante vivacité. Loin de lui adresser quelque remontrance, Mme Claës, qui avait à loisir sondé l’abîme dans lequel ils allaient rouler tous deux, lui prit la main et la lui serra en souriant : « Merci, ami, je suis sûre de mon pouvoir, lui dit-elle, tu m’as sacrifié plus que ta vie. À moi maintenant les sacrifices !

Quoique j’aie déjà vendu quelques-uns de mes diamants, il en reste encore assez, en y joignant ceux de mon frère, pour te procurer l’argent nécessaire à tes travaux. Je destinais ces parures à nos deux filles, mais ta gloire ne leur en fera-t-elle pas de plus étincelantes ? d’ailleurs, ne leur rendras-tu pas un jour leurs diamants plus beaux ? »