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toutes les actions de la première femme de Napoléon et la rendait souvent fausse tandis que Mme Claës était toujours naturelle et vraie. Quoique Balthazar connût bien la chambre de sa femme, son oubli des choses matérielles de la vie avait été si complet, qu’en y entrant il éprouva de doux frémissements comme s’il l’apercevait pour la première fois. La fastueuse gaieté d’une femme triomphante éclatait dans les splendides couleurs des tulipes qui s’élevaient du long cou de gros vases en porcelaine chinoise, habilement disposés, et dans la profusion des lumières dont les effets ne pouvaient se comparer qu’à ceux des plus joyeuses fanfares. La lueur des bougies donnait un éclat harmonieux aux étoffes de soie gris de lin dont la monotonie était nuancée par les reflets de l’or sobrement distribué sur quelques objets, et par les tons variés des fleurs qui ressemblaient à des gerbes de pierreries. Le secret de ces apprêts, c’était lui, toujours lui !… Joséphine ne pouvait pas dire plus éloquemment à Balthazar qu’il était toujours le principe de ses joies et de ses douleurs. L’aspect de cette chambre mettait l’âme dans un délicieux état, et chassait toute idée triste pour n’y laisser que le sentiment d’un bonheur égal et pur. L’étoffe de la tenture achetée en Chine jetait cette odeur suave qui pénètre le corps sans le fatiguer. Enfin, les rideaux soigneusement tirés trahissaient un désir de solitude, une intention jalouse de garder les moindres sons de la parole, et d’enfermer là les regards de l’époux reconquis. Parée de sa belle chevelure noire parfaitement lisse et qui retombait de chaque côté de son front comme deux ailes de corbeau, Mme Claës enveloppée d’un peignoir qui lui montait jusqu’au cou et que garnissait une longue pèlerine où bouillonnait la dentelle alla tirer la portière en tapisserie qui ne laissait parvenir aucun bruit du dehors. De là, Joséphine jeta sur son mari qui s’était assis près de la cheminée un de ces gais sourires par lesquels une femme spirituelle et dont l’âme vient parfois embellir la figure sait exprimer d’irrésistibles espérances. Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constant à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par laquelle elle l’enorgueillit, et réveille en lui les plus magnifiques sentiments. L’aveu de la faiblesse ne comporte-t-il pas de magiques séductions ? Lorsque les anneaux de la portière eurent glissé sourdement sur leur tringle de bois, elle se retourna vers son mari, parut vouloir dissimuler en ce moment ses défauts corporels en