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il était à ses yeux si grand, si imposant, que la seule perspective de sa colère l’agitait autant que l’idée de la majesté divine. Elle allait donc sortir de cette constante soumission dans laquelle elle était saintement demeurée comme épouse. L’intérêt de ses enfants l’obligerait à contrarier dans ses goûts un homme qu’elle idolâtrait. Ne faudrait-il pas souvent le ramener à des questions positives, quand il planerait dans les hautes régions de la Science, le tirer violemment d’un riant avenir pour le plonger dans ce que la matérialité présente de plus hideux aux artistes et aux grands hommes. Pour elle, Balthazar Claës était un géant de science, un homme gros de gloire ; il ne pouvait l’avoir oubliée que pour les plus riches espérances ; puis, il était si profondément sensé, elle l’avait entendu parler avec tant de talent sur les questions de tout genre, qu’il devait être sincère en disant qu’il travaillait pour la gloire et la fortune de sa famille. L’amour de cet homme pour sa femme et ses enfants n’était pas seulement immense, il était infini. Ces sentiments n’avaient pu s’abolir, ils s’étaient sans doute agrandis en se reproduisant sous une autre forme. Elle si noble, si généreuse et si craintive, allait faire retentir incessamment aux oreilles de ce grand homme le mot argent et le son de l’argent ; lui montrer les plaies de la misère, lui faire entendre les cris de la détresse, quand il entendrait les voix mélodieuses de la Renommée.

Peut-être l’affection que Balthazar avait pour elle s’en diminuerait-elle ? Si elle n’avait pas eu d’enfants, elle aurait embrassé courageusement et avec plaisir la destinée nouvelle que lui faisait son mari. Les femmes élevées dans l’opulence sentent promptement le vide que couvrent les jouissances matérielles ; et quand leur cœur, plus fatigué que flétri, leur a fait trouver le bonheur que donne un constant échange de sentiments vrais, elles ne reculent point devant une existence médiocre, si elle convient à l’être par lequel elles se savent aimées. Leurs idées, leurs plaisirs sont soumis aux caprices de cette vie en dehors de la leur ; pour elles, le seul avenir redoutable est de la perdre.

En ce moment donc, ses enfants séparaient Pépita de sa vraie vie, autant que Balthazar Claës s’était séparé d’elle par la Science ; aussi, quand elle fut revenue de vêpres et qu’elle se fut jetée dans sa bergère, renvoya-t-elle ses enfants en réclamant d’eux le plus profond silence ; puis, elle fit demander à son mari de venir la voir ; mais quoique Lemulquinier, le vieux valet de chambre, eût insisté pour l’arracher