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pria le notaire de cacher à la société de Douai la nature de ces acquisitions qui eussent été taxées de folies ; mais Pierquin lui répondit que déjà, pour ne point affaiblir la considération dont jouissait Claës, il avait retardé jusqu’au dernier moment les obligations notariées que l’importance des sommes prêtées de confiance par ses clients avait enfin nécessitées. Il dévoila l’étendue de la plaie, en disant à sa cousine que, si elle ne trouvait pas le moyen d’empêcher son mari de dépenser sa fortune si follement, dans six mois les biens patrimoniaux seraient grevés d’hypothèques qui en dépasseraient la valeur. Quant à lui, ajouta-t-il, les observations qu’il avait faites à son cousin, avec les ménagements dus à un homme si justement considéré, n’avaient pas eu la moindre influence. Une fois pour toutes, Balthazar lui avait répondu qu’il travaillait à la gloire et à la fortune de sa famille.

Ainsi, à toutes les tortures de cœur que Mme Claës avait supportées depuis deux ans, dont chacune s’ajoutait à l’autre et accroissait la douleur du moment de toutes les douleurs passées, se joignit une crainte affreuse, incessante, qui lui rendait l’avenir épouvantable. Les femmes ont des pressentiments dont la justesse tient du prodige. Pourquoi en général tremblent-elles plus qu’elles n’espèrent quand il s’agit des intérêts de la vie ? Pourquoi n’ont-elles de foi que pour les grandes idées de l’avenir religieux ? Pourquoi devinent-elles si habilement les catastrophes de fortune ou les crises de nos destinées ? Peut-être le sentiment qui les unit à l’homme qu’elles aiment, leur en fait-il admirablement peser les forces, estimer les facultés, connaître les goûts, les passions, les vices, les vertus ; la perpétuelle étude de ces causes en présence desquelles elle se trouvent sans cesse leur donne sans doute la fatale puissance d’en prévoir les effets dans toutes les situations possibles. Ce qu’elles voient du présent leur fait juger l’avenir avec une habileté naturellement expliquée par la perfection de leur système nerveux, qui leur permet de saisir les diagnostics les plus légers de la pensée et des sentiments. Tout en elles vibre à l’unisson des grandes commotions morales. Ou elles sentent, ou elles voient. Or, quoique séparée de son mari depuis deux ans, Mme Claës pressentait la perte de sa fortune. Elle avait apprécié la fougue réfléchie, l’inaltérable constance de Balthazar ; s’il était vrai qu’il cherchât à faire de l’or, il devait jeter avec une parfaite insensibilité son dernier morceau de pain dans son creuset ; mais que cherchait-il ?