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inquiétudes, qu’elle s’empressa de justifier les singularités de son mari :

« M. Balthazar avait, disait-elle, entrepris un grand travail qui l’absorbait, mais dont la réussite devait être un sujet de gloire pour sa famille et pour sa patrie. » Cette explication mystérieuse caressait trop l’ambition d’une ville où, plus qu’en aucune autre, règne l’amour du pays et le désir de son illustration, pour qu’elle ne produisît pas dans les esprits une réaction favorable à M. Claës. Les suppositions de sa femme étaient, jusqu’à un certain point, assez fondées. Plusieurs ouvriers de diverses professions avaient longtemps travaillé dans le grenier de la maison de devant, où Balthazar se rendait dès le matin. Après y avoir fait des retraites de plus en plus longues, auxquelles s’étaient insensiblement accoutumés sa femme et ses gens, Balthazar en était arrivé à y demeurer des journées entières. Mais, douleur inouïe !

Mme Claës apprit par les humiliantes confidences de ses bonnes amies étonnées de son ignorance que son mari ne cessait d’acheter à Paris des instruments de physique, des matières précieuses, des livres, des machines, et se ruinait, disait-on, à chercher la pierre philosophale. Elle devait songer à ses enfants, ajoutaient les amies, à son propre avenir, et serait criminelle de ne pas employer son influence pour détourner son mari de la fausse voie où il s’était engagé. Si Mme Claës retrouva son impertinence de grande dame pour imposer silence à ces discours absurdes, elle fut prise de terreur malgré son apparente assurance, et résolut de quitter son rôle d’abnégation. Elle fit naître une de ces situations pendant lesquelles une femme est avec son mari sur un pied d’égalité ; moins tremblante ainsi, elle osa demander à Balthazar la raison de son changement et le motif de sa constante retraite. Le Flamand fronça les sourcils, et lui répondit alors : « Ma chère, tu n’y comprendrais rien. » Un jour, Joséphine insista pour connaître ce secret en se plaignant avec douceur de ne pas partager toute la pensée de celui de qui elle partageait la vie. « Puisque cela t’intéresse tant, répondit Balthazar en gardant sa femme sur ses genoux et lui caressant ses cheveux noirs, je te dirai que je me suis remis à la chimie, et que je suis l’homme le plus heureux du monde. » Deux ans après l’hiver où M. Claës était devenu chimiste,