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d’un caprice, et refusa d’écouter M. Claës ; mais la passion est si communicative, et pour une pauvre fille contrefaite et boiteuse, un amour inspiré à un homme jeune et bien fait comporte de si grandes séductions, qu’elle consentit à se laisser courtiser.

Ne faudrait-il pas un livre entier pour bien peindre l’amour d’une jeune fille humblement soumise à l’opinion qui la proclame laide, tandis qu’elle sent en elle le charme irrésistible que produisent les sentiments vrais ? C’est de féroces jalousies à l’aspect du bonheur, de cruelles velléités de vengeance contre la rivale qui vole un regard, enfin des émotions, des terreurs inconnues à la plupart des femmes, et qui alors perdraient à n’être qu’indiquées. Le doute, si dramatique en amour, serait le secret de cette analyse, essentiellement minutieuse, où certaines âmes retrouveraient la poésie perdue, mais non pas oubliée de leurs premiers troubles : ces exaltations sublimes au fond du cœur et que le visage ne trahit jamais ; cette crainte de n’être pas compris, et ces joies illimitées de l’avoir été ; ces hésitations de l’âme qui se replie sur elle-même et ces projections magnétiques qui donnent aux yeux des nuances infinies ; ces projets de suicide causés par un mot et dissipés par une intonation de voix aussi étendue que le sentiment dont elle révèle la persistance méconnue ; ces regards tremblants qui voilent de terribles hardiesses ; ces envies soudaines de parler et d’agir, réprimées par leur violence même ; cette éloquence intime qui se produit par des phrases sans esprit, mais prononcées d’une voix agitée ; les mystérieux effets de cette primitive pudeur de l’âme et de cette divine discrétion qui rend généreux dans l’ombre, et fait trouver un goût exquis aux dévouements ignorés ; enfin, toutes les beautés de l’amour jeune et les faiblesses de sa puissance.

Mlle Joséphine de Temninck fut coquette par grandeur d’âme. Le sentiment de ses apparentes imperfections la rendit aussi difficile que l’eût été la plus belle personne. La crainte de déplaire un jour éveillait sa fierté, détruisait sa confiance et lui donnait le courage de garder au fond de son cœur ces premières félicités que les autres femmes aiment à publier par leurs manières, et dont elles se font une orgueilleuse parure. Plus l’amour la poussait vivement vers Balthazar, moins elle osait lui exprimer ses sentiments. Le geste, le regard, la réponse ou la demande qui, chez une jolie femme, sont des flatteries pour un homme, ne devenaient-elles pas en elle d’humiliantes spéculations ? Une femme belle peut à son