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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

Le Poussin resta rêveur.

— Parle donc.

— Gillette ! pauvre cœur aimé !

— Oh ! tu veux quelque chose de moi ?

— Oui.

— Si tu désires que je pose encore devant toi comme l’autre jour, reprit-elle d’un petit air boudeur, je n’y consentirai plus jamais, car, dans ces moments-là, tes yeux ne me disent plus rien. Tu ne penses plus à moi, et cependant tu me regardes.

— Aimerais-tu mieux me voir copiant une autre femme ?

— Peut-être, dit-elle, si elle était bien laide.

— Eh ! bien, reprit Poussin d’un ton sérieux, si pour ma gloire à venir, si pour me faire grand peintre, il fallait aller poser chez un autre ?

— Tu veux m’éprouver, dit-elle. Tu sais bien que je n’irais pas.

Le Poussin pencha sa tête sur sa poitrine comme un homme qui succombe à une joie ou à une douleur trop forte pour son âme.

— Écoute, dit-elle en tirant Poussin par la manche de son pourpoint usé, je t’ai dit, Nick, que je donnerais ma vie pour toi : mais je ne t’ai jamais promis, moi vivante, de renoncer à mon amour.

— Y renoncer ? s’écria Poussin.

— Si je me montrais ainsi à un autre, tu ne m’aimerais plus. Et moi-même je me trouverais indigne de toi. Obéir à tes caprices, n’est-ce pas chose naturelle et simple ? Malgré moi, je suis heureuse, et même fière de faire ta chère volonté. Mais pour un autre ! fi donc.

— Pardonne, ma Gillette, dit le peintre en se jetant à ses genoux. J’aime mieux être aimé que glorieux. Pour moi, tu es plus belle que la fortune et les honneurs. Va, jette mes pinceaux, brûle ces esquisses. Je me suis trompé. Ma vocation, c’est de t’aimer. Je ne suis pas peintre, je suis amoureux. Périssent et l’art et tous ses secrets !

Elle l’admirait, heureuse, charmée ! Elle régnait, elle sentait instinctivement que les arts étaient oubliés pour elle, et jetés à ses pieds comme un grain d’encens.

— Ce n’est pourtant qu’un vieillard, reprit Poussin. Il ne pourra voir que la femme en toi. Tu es si parfaite !

— Il faut bien aimer, s’écria-t-elle prête à sacrifier ses scru-