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MELMOTH RÉCONCILIÉ.

— Il est bien heureux, lui ! s’écria Castanier, il est mort avec la certitude d’aller au ciel.

En un moment, il s’était opéré le plus grand changement dans les idées du caissier. Après avoir été le démon pendant quelques jours, il n’était plus qu’un homme, image de la chute primitive consacrée dans toutes les cosmogonies. Mais, en redevenant petit par la forme, il avait acquis une cause de grandeur, il s’était trempé dans l’infini. La puissance infernale lui avait révélé la puissance divine. Il avait plus soif du ciel qu’il n’avait eu faim des voluptés terrestres si promptement épuisées. Les jouissances que promet le démon ne sont que celles de la terre agrandies, tandis que les voluptés célestes sont sans bornes. Cet homme crut en Dieu. La parole qui lui livrait les trésors du monde ne fut plus rien pour lui, et ces trésors lui semblèrent aussi méprisables que le sont les cailloux aux yeux de ceux qui aiment les diamants ; car il les voyait comme de la verroterie, en comparaison des beautés éternelles de l’autre vie. Pour lui, le bien provenant de cette source était maudit. Il resta plongé dans un abîme de ténèbres et de pensées lugubres en écoutant le service fait pour Melmoth. Le Dies iræ l’épouvanta. Il comprit, dans toute sa grandeur, ce cri de l’âme repentante qui tressaille devant la majesté divine. Il fut tout à coup dévoré par l’Esprit saint, comme le feu dévore la paille. Des larmes coulèrent de ses yeux.

— Vous êtes un parent du mort ? lui dit le bedeau.

— Son héritier, répondit Castanier.

— Pour les frais du culte, lui cria le suisse.

— Non, dit le caissier qui ne voulut pas donner à l’église l’argent du démon.

— Pour les pauvres.

— Non.

— Pour les réparations de l’église.

— Non.

— Pour la chapelle de la Vierge.

— Non.

— Pour le séminaire.

— Non.

Castanier se retira, pour ne pas être en butte aux regards irrités de plusieurs gens de l’église. — Pourquoi, se dit-il en contemplant Saint-Sulpice, pourquoi les hommes auraient-ils bâti ces ca-