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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

Se sachant maître de toutes les femmes qu’il souhaiterait, et se sachant armé d’une force qui ne devait jamais faillir, il ne voulait plus de femmes ; en les trouvant par avance soumises à ses caprices les plus désordonnés, il se sentait une horrible soif d’amour, et les désirait plus aimantes qu’elles ne pouvaient l’être. Mais la seule chose que lui refusait le monde, c’était la foi, la prière, ces deux onctueuses et consolantes amours. On lui obéissait. Ce fut un horrible état. Les torrents de douleurs, de plaisirs et de pensées qui secouaient son corps et son âme eussent emporté la créature humaine la plus forte ; mais il y avait en lui une puissance de vie proportionnée à la vigueur des sensations qui l’assaillaient. Il sentit en dedans de lui quelque chose d’immense que la terre ne satisfaisait plus. Il passait la journée à étendre ses ailes, à vouloir traverser les sphères lumineuses dont il avait une intuition nette et désespérante. Il se dessécha intérieurement, car il eut soif et faim de choses qui ne se buvaient ni ne se mangeaient, mais qui l’attiraient irrésistiblement. Ses lèvres devinrent ardentes de désir, comme l’étaient celles de Melmoth, et il haletait après l’INCONNU, car il connaissait tout. En voyant le principe et le mécanisme du monde, il n’en admirait plus les résultats, et manifesta bientôt ce dédain profond qui rend l’homme supérieur semblable à un sphinx qui sait tout, voit tout, et garde une silencieuse immobilité. Il ne se sentait pas la moindre velléité de communiquer sa science aux autres hommes. Riche de toute la terre, et pouvant la franchir d’un bond, la richesse et le pouvoir ne signifièrent plus rien pour lui. Il éprouvait cette horrible mélancolie de la suprême puissance à laquelle Satan et Dieu ne remédient que par une activité dont le secret n’appartient qu’à eux. Castanier n’avait pas, comme son maître, l’inextinguible puissance de haïr et de mal faire ; il se sentait démon, mais démon à venir, tandis que Satan est démon pour l’éternité ; rien ne le peut racheter, il le sait, et alors il se plaît à remuer avec sa triple fourche les mondes comme un fumier, en y tracassant les desseins de Dieu. Pour son malheur, Castanier conservait une espérance. Ainsi tout à coup, en un moment, il put aller d’un pôle à l’autre, comme un oiseau vole désespérément entre les deux côtés de sa cage ; mais, après avoir fait ce bond, comme l’oiseau, il vit des espaces immenses. Il eut de l’infini une vision qui ne lui permit plus de considérer les choses humaines comme les autres hommes les considèrent. Les insensés qui souhaitent la puis-