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MELMOTH RÉCONCILIÉ.

— Aucune puissance humaine ne peut t’empêcher d’aller reconduire Aquilina, d’aller à Versailles, et d’y être arrêté.

— Pourquoi ?

— Parce que le bras qui te tient, dit l’Anglais, ne te lâchera point. Castanier aurait voulu pouvoir prononcer quelques paroles pour s’anéantir lui-même et disparaître au fond des enfers.

— Si le démon te demandait ton âme, ne la donnerais-tu pas en échange d’une puissance égale à celle de Dieu ? D’un seul mot, tu restituerais dans la caisse du baron de Nucingen les cinq cent mille francs que tu y as pris. Puis, en déchirant ta lettre de crédit, toute trace de crime serait anéantie. Enfin, tu aurais de l’or à flots. Tu ne crois guère à rien, n’est-ce pas ? Hé bien ! si tout cela arrive, tu croiras au moins au diable.

— Si c’était possible ! dit Castanier avec joie.

— Celui qui peut faire ceci, répondit l’Anglais, te l’affirme.

Melmoth étendit le bras au moment où Castanier, madame de La Garde et lui se trouvaient sur le boulevard. Il tombait alors une pluie fine, le sol était boueux, l’atmosphère était épaisse, et le ciel était noir. Aussitôt que le bras de cet homme fut étendu, le soleil illumina Paris. Castanier se vit, en plein midi, comme par un beau jour de juillet. Les arbres étaient couverts de feuilles, et les Parisiens endimanchés circulaient en deux files joyeuses. Les marchands de coco criaient : — À boire, à la fraîche ! Des équipages brillaient en roulant sur la chaussée. Le caissier jeta un cri de terreur. À ce cri, le boulevard redevint humide et sombre. Madame de La Garde était montée en voiture.

— Mais dépêche-toi donc, mon ami, lui dit-elle, viens ou reste. Vraiment, ce soir, tu es ennuyeux comme la pluie qui tombe.

— Que faut-il faire ? dit Castanier à Melmoth.

— Veux-tu prendre ma place ? lui demanda l’Anglais.

— Oui.

— Eh ! bien, je serai chez toi dans quelques instants.

— Ah ! çà, Castanier, tu n’es pas dans ton assiette ordinaire, lui disait Aquilina. Tu médites quelque mauvais coup, tu étais trop sombre et trop pensif pendant le spectacle. Mon cher ami, te faut-il quelque chose que je puisse te donner ? Parle.

— J’attends, pour savoir si tu m’aimes, que nous soyons arrivés à la maison.