— Enfin, si je pars, me suis-tu ? demanda-t-il.
— Dis-moi d’abord si ton voyage n’est pas une mauvaise plaisanterie.
— Oui, sérieusement, je pars.
— Eh ! bien, sérieusement, je reste. Bon voyage, mon enfant ! je t’attendrai. Je quitterais plutôt la vie que de laisser mon bon petit Paris.
— Tu ne viendrais pas en Italie, à Naples, y mener une bonne vie, bien douce, luxueuse, avec ton gros bonhomme qui souffle comme un phoque ?
— Non.
— Ingrate !
— Ingrate ? dit-elle en se levant. Je puis sortir à l’instant en n’emportant d’ici que ma personne. Je t’aurai donné tous les trésors que possède une jeune fille, et une chose que tout ton sang ni le mien ne saurait me rendre. Si je pouvais, par un moyen quelconque, en vendant mon éternité par exemple, recouvrer la fleur de mon corps comme j’ai peut-être reconquis celle de mon âme, et me livrer pure comme un lis à mon amant, je n’hésiterais pas un instant ! Par quel dévouement as-tu récompensé le mien ? Tu m’as nourrie et logée par le même sentiment qui porte à nourrir un chien et à le mettre dans une niche, parce qu’il nous garde bien, qu’il reçoit nos coups de pied quand nous sommes de mauvaise humeur, et qu’il nous lèche la main aussitôt que nous le rappelons. Qui de nous deux aura été le plus généreux ?
— Oh ! ma chère enfant, ne vois-tu pas que je plaisante ? dit Castanier. Je fais un petit voyage qui ne durera pas long-temps. Mais te viendras avec moi au Gymnase, je partirai vers minuit, après t’avoir dit un bon adieu.
— Pauvre chat, tu pars donc ? lui dit-elle en le prenant par le cou pour lui mettre la tête dans son corsage.
— Tu m’étouffes ! cria Castanier le nez dans le sein d’Aquilina.
La bonne fille se pencha vers l’oreille de Jenny : – Va dire à Léon de ne venir qu’à une heure ; si tu ne le trouves pas et qu’il arrive pendant les adieux, tu le garderas chez toi. – Eh ! bien, reprit-elle, en ramenant la tête de Castanier devant la sienne et lui tortillant le bout du nez, allons, toi le plus beau des phoques, j’irai donc avec toi ce soir au théâtre. Mais alors dînons ! tu as un bon petit dîner, tous plats de ton goût.