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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

— Monsieur, les gens du monde traitent toujours la science assez cavalièrement, tous nous disent à peu près ce qu’un incroyable disait à Lalande en lui amenant des dames après l’éclipse : « Ayez la bonté de recommencer. » Quel effet voulez-vous produire ? La mécanique a pour but d’appliquer les lois du mouvement ou de les neutraliser. Quant au mouvement en lui-même, je vous le déclare avec humilité, nous sommes impuissants à le définir. Cela posé, nous avons remarqué quelques phénomènes constants qui régissent l’action des solides et des fluides. En reproduisant les causes génératrices de ces phénomènes, nous pouvons transporter les corps, leur transmettre une force locomotive dans des rapports de vitesse déterminée, les lancer, les diviser simplement ou à l’infini, soit que nous les cassions ou les pulvérisions ; puis les tordre, leur imprimer une rotation, les modifier, les comprimer, les dilater, les étendre. Cette science, monsieur, repose sur un seul fait. Vous voyez cette bille, reprit-il. Elle est ici sur cette pierre. La voici maintenant là. De quel nom appellerons-nous cet acte si physiquement naturel et si moralement extraordinaire ? Mouvement, locomotion, changement de lieu ? Quelle immense vanité cachée sous les mots ! Un nom, est-ce donc une solution ? Voilà pourtant toute la science. Nos machines emploient ou décomposent cet acte, ce fait. Ce léger phénomène adapté à des masses va faire sauter Paris : nous pouvons augmenter la vitesse aux dépens de la force, et la force aux dépens de la vitesse. Qu’est-ce que la force et la vitesse ? Notre science est inhabile à le dire, comme elle l’est à créer un mouvement. Un mouvement, quel qu’il soit, est un immense pouvoir, et l’homme n’invente pas de pouvoirs. Le pouvoir est un, comme le mouvement, l’essence même du pouvoir. Tout est mouvement. La pensée est un mouvement. La nature est établie sur le mouvement. La mort est un mouvement dont les fins nous sont peu connues. Si Dieu est éternel, croyez qu’il est toujours en mouvement ; Dieu est le mouvement, peut-être. Voilà pourquoi le mouvement est inexplicable comme lui ; comme lui profond, sans bornes, incompréhensible, intangible. Qui jamais a touché, compris, mesuré le mouvement ? Nous en sentons les effets sans les voir. Nous pouvons même le nier comme nous nions Dieu ; Où est-il ? où n’est-il pas ? D’où part-il ? Où en est le principe ? Où en est la fin ? Il nous enveloppe, nous presse et nous échappe. Il est évident comme un