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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

un voyageur aura, je pense, amené un de ces animaux curieux qui supportent fort impatiemment l’esclavage. De là, le dicton ! La peau que vous me présentez, reprit le savant, est la peau d’un onagre. Nous varions sur l’origine du nom. Les uns prétendent que Chagri est un mot turc, d’autres veulent que Chagri soit la ville où cette dépouille zoologique subit une préparation chimique assez bien décrite par Pallas, et qui lui donne le grain particulier que nous admirons ; monsieur Martellens m’a écrit que Châagri est un ruisseau.

— Monsieur, je vous remercie de m’avoir donné des renseignements qui fourniraient une admirable note à quelque Dom Calmet, si les bénédictins existaient encore ; mais j’ai eu l’honneur de vous faire observer que ce fragment était primitivement d’un volume égal… à cette carte géographique, dit Raphaël en montrant à Lavrille un atlas ouvert : or depuis trois mois elle s’est sensiblement contractée…

— Bien, reprit le savant, je comprends. Monsieur, toutes les dépouilles d’êtres primitivement organisés sont sujettes à un dépérissement naturel, facile à concevoir, dont les progrès sont soumis aux influences atmosphériques. Les métaux eux-mêmes se dilatent ou se resserrent d’une manière sensible, car les ingénieurs ont observé des espaces assez considérables entre de grandes pierres primitivement maintenues par des barres de fer. La science est vaste, la vie humaine est bien courte. Aussi n’avons-nous pas la prétention de connaître tous les phénomènes de la nature.

— Monsieur, reprit Raphaël presque confus, excusez la demande que je vais vous faire. Êtes-vous bien sûr que cette peau soit soumise aux lois ordinaires de la zoologie, qu’elle puisse s’étendre ?

— Oh ! certes. Ah ! peste, dit monsieur Lavrille en essayant de tirer le talisman. Mais, monsieur, reprit-il, si vous voulez aller voir Planchette, le célèbre professeur de mécanique, il trouvera certainement un moyen d’agir sur cette peau, de l’amollir, de la distendre.

— Oh ! monsieur, vous me sauvez la vie.

Raphaël salua le savant naturaliste, et courut chez Planchette, en laissant le bon Lavrille au milieu de son cabinet rempli de bocaux et de plantes séchées. Il remportait de cette visite, sans le savoir, toute la science humaine : une nomenclature ! Ce bon-