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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

sant les yeux au moment où son visage s’empourpra. Qu’êtes-vous devenu ?

— Ah ! Pauline, j’ai été, je suis bien malheureux encore !

— Là ! s’écria-t-elle tout attendrie. J’ai deviné votre sort hier en vous voyant bien mis, riche en apparence, mais en réalité, hein ! monsieur Raphaël, est-ce toujours comme autrefois ?

Valentin ne put retenir quelques larmes, elles roulèrent dans ses yeux, il s’écria : — Pauline !… je… Il n’acheva pas, ses yeux étincelèrent d’amour, et son cœur déborda dans son regard.

— Oh ! il m’aime, il m’aime, s’écria Pauline.

Raphaël fit un signe de tête, car il se sentit hors d’état de prononcer une seule parole. À ce geste, la jeune fille lui prit la main, la serra, et lui dit tantôt riant, tantôt sanglotant : — Riches, riches, heureux, riches, ta Pauline est riche. Mais moi, je devrais être bien pauvre aujourd’hui. J’ai mille fois dit que je paierais ce mot : il m’aime, de tous les trésors de la terre. Ô mon Raphaël ! j’ai des millions. Tu aimes le luxe, tu seras content ; mais tu dois aimer mon cœur aussi, il y a tant d’amour pour toi dans ce cœur ! Tu ne sais pas ? mon père est revenu. Je suis une riche héritière. Ma mère et lui me laissent entièrement maîtresse de mon sort ; je suis libre, comprends-tu ?

En proie à une sorte de délire, Raphaël tenait les mains de Pauline, et les baisait si ardemment, si avidement, que son baiser semblait être une sorte de convulsion. Pauline se dégagea les mains, les jeta sur les épaules de Raphaël et le saisit ; ils se comprirent, se serrèrent et s’embrassèrent avec cette sainte et délicieuse ferveur, dégagée de toute arrière-pensée, dont se trouve empreint un seul baiser, le premier baiser par lequel deux âmes prennent possession d’elles-mêmes.

— Ah ! s’écria Pauline en retombant sur la chaise, je ne veux plus te quitter. Je ne sais d’où me vient tant de hardiesse ! reprit-elle en rougissant.

— De la hardiesse, ma Pauline ? Oh ! ne crains rien, c’est de l’amour, de l’amour vrai, profond, éternel comme le mien, n’est-ce pas ?

— Oh ! parle, parle, parle, dit elle. Ta bouche a été si long-temps muette pour moi !

— Tu m’aimais donc ?

— Oh ! Dieu, si je t’aimais ! combien de fois j’ai pleuré, là,