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LA PEAU DE CHAGRIN

dessus sa tête une chaîne d’or au bout de laquelle était suspendue sa cassolette ornée de pierres précieuses. J’éprouvais un plaisir indicible à voir ses mouvements empreints de la gentillesse dont les chattes font preuve en se toilettant au soleil. Elle se regarda dans la glace, et dit tout haut d’un air de mauvaise humeur : Je n’étais pas jolie ce soir, mon teint se fane avec une effrayante rapidité. Je devrais peut-être me coucher plus tôt, renoncer à cette vie dissipée. Mais Justine se moque-t-elle de moi ? Elle sonna de nouveau, la femme de chambre accourut. Où logeait-elle ? je ne sais. Elle arriva par un escalier dérobé. J’étais curieux de l’examiner. Mon imagination de poète avait souvent incriminé cette invisible servante, grande fille brune, bien faite. — Madame a sonné ? — Deux fois, répondit Fœdora. Vas-tu donc maintenant devenir sourde ? — J’étais à faire le lait d’amandes de madame. Justine s’agenouilla, défit les cothurnes des souliers, déchaussa sa maîtresse, qui nonchalamment étendue sur un fauteuil à ressorts, au coin du feu, bâillait en se grattant la tête. Il n’y avait rien que de très-naturel dans tous ses mouvements, et nul symptôme ne me révéla ni les souffrances secrètes, ni les passions que j’avais supposées. — Georges est amoureux, dit-elle, je le renverrai. N’a-t-il pas encore défait les rideaux ce soir ? à quoi pense-t-il ? À cette observation, tout mon sang reflua vers mon cœur, mais il ne fut plus question des rideaux. — L’existence est bien vide, reprit la comtesse. Ah çà ! prends garde de m’égratigner comme hier. Tiens, vois-tu, dit-elle en lui montrant un petit genou satiné, je porte encore la marque de tes griffes. Elle mit ses pieds nus dans des pantoufles de velours fourrées de cygne, et détacha sa robe pendant que Justine prit un peigne pour lui arranger les cheveux. — Il faut vous marier, madame, avoir des enfants. — Des enfants ! Il ne me manquerait plus que cela pour m’achever, s’écria-t-elle. Un mari ! Quel est l’homme auquel je pourrais me… Étais-je bien coiffée ce soir ? — Mais, pas très-bien. — Tu es une sotte. — Rien ne vous va plus mal que de trop crêper vos cheveux, reprit Justine. Les grosses boucles bien lisses vous sont plus avantageuses. — Vraiment ? — Mais oui, madame, les cheveux crêpés clair ne vont bien qu’aux blondes. — Me marier ? non, non. Le mariage est un trafic pour lequel je ne suis pas née. Quelle épouvantable scène pour un amant ! Cette femme solitaire, sans parents, sans amis, athée en amour, ne croyant à aucun sentiment ; et quelque faible que fût en elle ce besoin d’épanche-