Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

dans mon âme, quand elle me révélait naïvement son égoïsme. Je l’apercevais avec douleur seule un jour dans la vie et ne sachant à qui tendre la main, ne rencontrant pas de regards amis où reposer les siens. Un soir, j’eus le courage de lui peindre, sous des couleurs animées, sa vieillesse déserte, vide et triste. À l’aspect de cette épouvantable vengeance de la nature trompée, elle dit un mot atroce. — J’aurai toujours de la fortune, me répondit-elle. Eh ! bien, avec de l’or nous pouvons toujours créer autour de nous les sentiments qui sont nécessaires à notre bien-être. Je sortis foudroyé par la logique de ce luxe, de cette femme, de ce monde, dont j’étais si sottement idolâtre. Je n’aimais pas Pauline pauvre, Fœdora riche n’avait-elle pas le droit de repousser Raphaël ? Notre conscience est un juge infaillible, quand nous ne l’avons pas encore assassinée. « Fœdora, me criait une voix sophistique, n’aime ni ne repousse personne ; elle est libre, mais elle s’est autrefois donnée pour de l’or. Amant ou époux, le comte russe l’a possédée. Elle aura bien une tentation dans sa vie ! Attends-la. » Ni vertueuse ni fautive, cette femme vivait loin de l’humanité, dans une sphère à elle, enfer ou paradis. Ce mystère femelle vêtu de cachemire et de broderies mettait en jeu dans mon cœur tous les sentiments humains, orgueil, ambition, amour, curiosité. Un caprice de la mode, ou cette envie de paraître original qui nous poursuit tous, avait amené la manie de vanter un petit spectacle du boulevard. La comtesse témoigna le désir de voir la figure enfarinée d’un acteur qui faisait les délices de quelques gens d’esprit, et j’obtins l’honneur de la conduire à la première représentation de je ne sais quelle mauvaise farce. La loge coûtait à peine cent sous, je ne possédais pas un traître liard. Ayant encore un demi-volume de mémoires à écrire, je n’osais pas aller mendier un secours à Finot, et Rastignac, ma providence, était absent. Cette gêne constante maléficiait toute ma vie. Une fois, au sortir des Bouffons, par une horrible pluie, Fœdora m’avait fait avancer une voiture sans que je pusse me soustraire à son obligeance de parade : elle n’admit aucune de mes excuses, ni mon goût pour la pluie, ni mon envie d’aller au jeu. Elle ne devinait mon indigence ni dans l’embarras de mon maintien, ni dans mes paroles tristement plaisantes. Mes yeux rougissaient, mais comprenait-elle un regard ? La vie des jeunes gens est soumise à de singuliers caprices ! Pendant le voyage, chaque tour de roue réveilla des pensées qui me