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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

délicieux corsage, vous fait-il craindre les dégâts de la maternité : ne serait-ce pas une de vos meilleures raisons secrètes pour vous refuser à être trop bien aimée ? Avez-vous des imperfections qui vous rendent vertueuse malgré vous ? Ne vous fâchez pas, je discute, j’étudie, je suis à mille lieues de la passion. La nature, qui fait des aveugles de naissance, peut bien créer des femmes sourdes, muettes et aveugles en amour. Vraiment vous êtes un sujet précieux pour l’observation médicale ! Vous ne savez pas tout ce que vous valez. Vous pouvez avoir un dégoût fort légitime pour les hommes : je vous approuve, ils me paraissent tous laids et odieux. Mais vous avez raison, ajoutai-je en sentant mon cœur se gonfler, vous devez nous mépriser : il n’existe pas d’homme qui soit digne de vous.

Je ne te dirai pas tous les sarcasmes que je lui débitai en riant. Eh ! bien, la parole la plus acérée, l’ironie la plus aiguë, ne lui arrachèrent ni un mouvement ni un geste de dépit. Elle m’écoutait en gardant sur ses lèvres, dans ses yeux, son sourire d’habitude, ce sourire qu’elle prenait comme un vêtement, et toujours le même pour ses amis, pour ses simples connaissances, pour les étrangers. — Ne suis-je pas bien bonne de me laisser mettre ainsi sur un amphithéâtre ? dit-elle en saisissant un moment pendant lequel je la regardais en silence. Vous le voyez, continua-t-elle en riant, je n’ai pas de sottes susceptibilités en amitié ! Beaucoup de femmes puniraient votre impertinence en vous faisant fermer leur porte. — Vous pouvez me bannir de chez vous sans être tenue de donner la raison de vos sévérités. En disant cela, je me sentais prêt à la tuer si elle m’avait congédié. — Vous êtes fou, s’écria-t-elle en souriant. — Avez-vous jamais songé, repris-je, aux effets d’un violent amour ? Un homme au désespoir a souvent assassiné sa maîtresse. — Il vaut mieux être morte que malheureuse, répondit-elle froidement. Un homme aussi passionné doit un jour abandonner sa femme et la laisser sur la paille après lui avoir mangé sa fortune. Cette arithmétique m’abasourdit. Je vis clairement un abîme entre cette femme et moi. Nous ne pouvions jamais nous comprendre. — Adieu, lui dis-je froidement. — Adieu, répondit-elle en inclinant la tête d’un air amical. À demain. Je la regardai pendant un moment en lui dardant tout l’amour auquel je renonçais. Elle était debout, et me jetait son sourire banal, le détestable sourire d’une statue de marbre, sec et poli, paraissant