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Véronique avait porté un masque, et que ce masque tombait. Pour la dernière fois s’accomplissait l’admirable phénomène par lequel le visage de cette créature en expliquait la vie et les sentiments. Tout en elle se purifia, s’éclaircit, et il y eut sur son visage comme un reflet des flamboyantes épées des anges gardiens qui l’entouraient. Elle fut ce qu’elle était quand Limoges l’appelait la belle madame Graslin. L’amour de Dieu se montrait plus puissant encore que ne l’avait été l’amour coupable, l’un mit jadis en relief les forces de la vie, l’autre écartait toutes les défaillances de la mort. On entendit un cri étouffé ; la Sauviat se montra, elle bondit jusqu’au lit, en disant : — « Je revois donc enfin mon enfant ! » L’expression de cette vieille femme en prononçant ces deux mots mon enfant, rappela si vivement la première innocence des enfants, que les spectateurs de cette belle mort détournèrent tous la tête pour cacher leur émotion. L’illustre médecin prit la main de madame Graslin, la baisa, puis il partit. Le bruit de sa voiture retentit au milieu du silence de la campagne, en disant qu’il n’y avait aucune espérance de conserver l’âme de ce pays. L’archevêque, le curé, le médecin, tous ceux qui se sentirent fatigués allèrent prendre un peu de repos, quand madame Graslin s’endormit elle-même pour quelques heures. Car elle s’éveilla dès l’aube en demandant qu’on ouvrît ses fenêtres, Elle voulait voir le lever de son dernier soleil.

À dix heures du matin, l’archevêque, revêtu de ses habits pontificaux, vint dans la chambre de madame Graslin. Le prélat eut, ainsi que monsieur Bonnet, une si grande confiance en cette femme, qu’ils ne lui firent aucune recommandation sur les limites entre lesquelles elle devait renfermer ses aveux. Véronique aperçut alors un clergé plus nombreux que ne le comportait l’église de Montégnac, car celui des communes voisines s’y était joint. Monseigneur allait être assisté par quatre curés. Les magnifiques ornements, offerts par madame Graslin à sa chère paroisse, donnaient un grand éclat à cette cérémonie. Huit enfants de chœur, dans leur costume rouge et blanc, se rangèrent sur deux files, à partir du lit jusque dans le salon, tenant tous un de ces énormes flambeaux de bronze doré que Véronique avait fait venir de Paris. La croix et la bannière de l’église étaient tenues de chaque côté de l’estrade par deux sacristains en cheveux blancs. Grâce au dévouement des gens, on avait placé près de la porte du salon l’autel en bois pris dans la