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Tous les dimanches après la messe, Véronique, l’ingénieur, le curé, le médecin, le maire descendaient par le parc et allaient y voir le mouvement des eaux. L’hiver de 1833 à 1834 fut très-pluvieux. L’eau des trois sources qui avaient été dirigées vers le torrent et l’eau des pluies convertirent la vallée du Gabou en trois étangs, étagés avec prévoyance afin de créer une réserve pour les grandes sécheresses. Aux endroits où la vallée s’élargissait, Gérard avait profité de quelques monticules pour en faire des îles qui furent plantées en arbres variés. Cette vaste opération changea complétement le paysage ; mais il fallait cinq ou six années pour qu’il eût sa vraie physionomie. « — Le pays était tout nu, disait Farrabesche, et Madame vient de l’habiller. »

Depuis ces grands changements, Véronique fut appelée madame dans toute la contrée. Quand les pluies cessèrent, au mois de juin 1834, on essaya les irrigations dans la partie de prairies ensemencées, dont la jeune verdure ainsi nourrie offrit les qualités supérieures des marciti de l’Italie et des prairies suisses. Le système d’arrosement, modelé sur celui des fermes de la Lombardie, mouillait également le terrain, dont la surface était unie comme un tapis. Le nitre des neiges, en dissolution dans ces eaux, contribua sans doute beaucoup à la qualité de l’herbe. L’ingénieur espéra trouver dans les produits quelque analogie avec ceux de la Suisse, pour qui cette substance est, comme on le sait, une source intarissable de richesses. Les plantations sur les bords des chemins, suffisamment humectées par l’eau qu’on laissa dans les fossés, firent de rapides progrès. Aussi, en 1838, cinq ans après l’entreprise de madame Graslin à Montégnac, la plaine inculte, jugée infertile par vingt générations, était-elle verte, productive et entièrement plantée. Gérard y avait bâti cinq fermes de mille arpents chacune, sans compter le grand établissement du château. La ferme de Gérard, celle de Grossetête et celle de Fresquin, qui recevaient le trop-plein des eaux des domaines de madame Graslin, furent élevées sur le même plan et régies par les mêmes méthodes. Gérard se construisit un charmant pavillon dans sa propriété. Quand tout fut terminé, les habitants de Montégnac, sur la proposition du maire enchanté de donner sa démission, nommèrent Gérard maire de la commune.

En 1840, le départ du premier troupeau de bœufs envoyés par Montégnac sur les marchés de Paris, fut l’objet d’une fête cham-