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— Oh ! s’écria madame Graslin en regardant Roubaud, la politique ne peut donc se passer nulle part du petit journal, même ici ?

— La Bourgeoisie, reprit Clousier, remplit dans cette horrible tâche le rôle des pionniers en Amérique. Elle achète les grandes terres sur lesquelles le paysan ne peut rien entreprendre, elle se les partage ; puis, après les avoir mâchées, divisées, la licitation ou la vente en détail les livre plus tard au paysan. Tout se résume par des chiffres aujourd’hui. Je n’en sais pas de plus éloquents que ceux-ci : la France a quarante-neuf millions d’hectares qu’il serait convenable de réduire à quarante ; il faut en distraire les chemins, les routes, les dunes, les canaux et les terrains infertiles, incultes ou désertés par les capitaux, comme la plaine de Montégnac. Or, sur quarante millions d’hectares pour trente-deux millions d’habitants, il se trouve cent vingt-cinq millions de parcelles sur la cote générale des impositions foncières. J’ai négligé les fractions, Ainsi, nous sommes au delà de la Loi Agraire, et nous ne sommes au bout ni de la Misère, ni de la Discorde ! Ceux qui mettent le territoire en miettes et amoindrissent la Production auront des organes pour crier que la vraie justice sociale consisterait à ne donner à chacun que l’usufruit de sa terre. Ils diront que la propriété perpétuelle est un vol ! Les saint-simoniens ont commencé.

— Le magistrat a parlé, dit Grossetête, voici ce que le banquier ajoute à ces courageuses considérations. La propriété, rendue accessible au paysan et au petit bourgeois, cause à la France un tort immense que le gouvernement ne soupçonne même pas. On peut évaluer à trois millions de familles la masse des paysans, abstraction faite des indigents. Ces familles vivent de salaires. Le salaire se paie en argent au lieu de se payer en denrées…

— Encore une faute immense de nos lois, s’écria Clousier en interrompant. La faculté de payer en denrées pouvait être ordonnée en 1790 ; mais, aujourd’hui, porter une pareille loi, ce serait risquer une révolution.

— Ainsi le prolétaire attire à lui l’argent du pays. Or, reprit Grossetête, le paysan n’a pas d’autre passion, d’autre désir, d’autre vouloir, d’autre point de mire que de mourir propriétaire. Ce désir, comme l’a fort bien établi monsieur Clousier, est né de la Révolution ; il est le résultat de la vente des biens nationaux. Il faudrait n’avoir aucune idée de ce qui se passe au fond des campagnes, pour ne pas admettre comme un fait constant, que ces trois millions de familles