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tuation elle est pour moi la seule femme qu’il y ait dans le monde.

Madame Graslin se retourna vivement et alla jusque sous la châtaigneraie, comme atteinte d’une douleur. Le garde crut qu’elle était saisie par quelque caprice, et n’osa la suivre. Véronique resta là pendant un quart d’heure environ, occupée en apparence à regarder le paysage. De là elle apercevait toute la partie de la forêt qui meuble ce côté de la vallée où coule le torrent, alors sans eau, plein de pierres, et qui ressemblait à un immense fossé, serré entre les montagnes boisées dépendant de Montégnac et une autre chaîne de collines parallèles, mais rapides, sans végétation, à peine couronnées de quelques arbres mal venus. Cette autre chaîne où croissent quelques bouleaux, des genévriers et des bruyères d’un aspect assez désolé appartient à un domaine voisin et au département de la Corrèze. Un chemin vicinal qui suit les inégalités de la vallée sert de séparation à l’arrondissement de Montégnac et aux deux terres. Ce revers assez ingrat, mal exposé, soutient, comme une muraille de clôture, une belle partie de bois qui s’étend sur l’autre versant de cette longue côte dont l’aridité forme un contraste complet avec celle sur laquelle est assise la maison de Farrabesche. D’un côté, des formes âpres et tourmentées ; de l’autre, des formes gracieuses, des sinuosités élégantes ; d’un côté, l’immobilité froide et silencieuse de terres infécondes, maintenues par des blocs de pierres horizontaux, par des roches nues et pelées ; de l’autre, des arbres de différents verts, en ce moment dépouillés de feuillages pour la plupart, mais dont les beaux troncs droits et diversement colorés s’élancent de chaque pli de terrain, et dont les branchages se remuaient alors au gré du vent. Quelques arbres plus persistants que les autres, comme les chênes, les ormes, les hêtres, les châtaigniers conservaient des feuilles jaunes, bronzées ou violacées.

Vers Montégnac, où la vallée s’élargit démesurément, les deux côtes forment un immense fer-à-cheval, et de l’endroit où Véronique était allée s’appuyer à un arbre, elle put voir des vallons disposés comme les gradins d’un amphithéâtre où les cimes des arbres montent les unes au-dessus des autres comme des personnages. Ce beau paysage formait alors le revers de son parc, où depuis il fut compris. Du côté de la chaumière de Farrabesche, la vallée se rétrécit de plus en plus, et finit par un col d’environ cent pieds de large.