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châtaigneraie. En ouvrant la porte à claire-voie faite en planches presque pourries qui sert de clôture, madame Graslin aperçut une étable, une petite basse-cour et tous les pittoresques, les vivants accessoires des habitations du pauvre, qui certes ont de le poésie aux champs. Quel être a pu voir sans émotion les linges étendus sur la haie, la botte d’oignons pendue au plancher, les marmites en fer qui sèchent, le banc de bois ombragé de chèvrefeuilles, et les joubarbes sur le faite du chaume qui accompagnent presque toutes les chaumières en France et qui révèlent une vie humble, presque végétative.

Il fut impossible à Véronique d’arriver chez son garde sans être aperçue, deux beaux chiens de chasse aboyèrent aussitôt que le bruit de son amazone se fit entendre dans les feuilles sèches ; elle prit la queue de cette large robe sous son bras, et s’avança vers la maison. Farrabesche et son enfant, qui étaient assis sur un banc de bois en dehors, se levèrent et se découvrirent tous deux, en gardant une attitude respectueuse, mais sans la moindre apparence de servilité.

— J’ai su, dit Véronique en regardant avec attention l’enfant, que vous preniez mes intérêts, j’ai voulu voir par moi-même votre maison, les pépinières, et vous questionner ici même sur les améliorations à faire.

— Je suis aux ordres de madame, répondit Farrabesche.

Véronique admira l’enfant qui avait une charmante figure, un peu hâlée, brune, mais très-régulière, un ovale parfait, un front purement dessiné, des yeux orange d’une vivacité excessive, des cheveux noirs, coupés sur le front et longs de chaque côté du visage. Plus grand que ne l’est ordinairement un enfant de cet âge, ce petit avait près de cinq pieds. Son pantalon était comme sa chemise en grosse toile écrue, son gilet de gros drap bleu très-usé avait des boutons de corne, il portait une veste de ce drap si plaisamment nommé velours de Maurienne et avec lequel s’habillent les savoyards, de gros souliers ferrés et point de bas. Ce costume était exactement celui du père ; seulement, Farrabesche avait sur la tête un grand feutre de paysan et le petit avait sur la sienne un bonnet de laine brune. Quoique spirituelle et animée, la physionomie de cet enfant gardait sans effort la gravité particulière aux créatures qui vivent dans la solitude ; il avait dû se mettre en harmonie avec le silence et la vie des bois. Aussi Farrabesche et son fils étaient-ils