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heur plus grand que celui de vivre. Les antécédents de la vie de cet homme, âgé de vingt-trois ans, contredisaient si bien les actions par lesquelles elle se terminait, que ses défenseurs objectaient son attitude comme une conclusion. Enfin les preuves accablantes dans l’hypothèse de l’Accusation devenaient si faibles dans le roman de la Défense, que cette tête fut disputée avec des chances favorables par l’avocat. Pour sauver la vie à son client, l’avocat se battit à outrance sur le terrain de la préméditation, il admit hypothétiquement la préméditation du vol, non celle des assassinats, résultat de deux luttes inattendues. Le succès parut douteux pour le Parquet comme pour le Barreau.

Après la visite du médecin, Véronique eut celle de l’Avocat-général, qui tous les matins la venait voir avant l’audience.

— J’ai lu les plaidoiries d’hier, lui dit-elle. Aujourd’hui vont commencer les répliques, je me suis si fort intéressée à l’accusé que je voudrais le voir sauvé ; ne pouvez-vous une fois en votre vie abandonner un triomphe ? Laissez-vous battre par l’avocat. Allons, faites-moi présent de cette vie, et vous aurez peut-être la mienne un jour !… Il y a doute après le beau plaidoyer de l’avocat de Tascheron, et bien…

— Votre voix est émue, dit le vicomte quasi surpris.

— Savez-vous pourquoi ? répondit-elle. Mon mari vient de remarquer une horrible coïncidence, et qui, par suite de ma sensibilité, serait de nature à causer ma mort : j’accoucherai quand vous donnerez l’ordre de faire tomber cette tête.

— Puis-je réformer le Code ? dit l’Avocat-général.

— Allez ! vous ne savez pas aimer, répondit-elle en fermant les yeux.

Elle posa sa tête sur l’oreiller, et renvoya le magistrat par un geste impératif.

Monsieur Graslin plaida fortement mais inutilement pour l’acquittement, en donnant une raison qui fut adoptée par deux jurés de ses amis, et qui lui avait été suggérée par sa femme :

— Si nous laissons la vie à cet homme, la famille des Vanneaulx retrouvera la succession Pingret. » Cet argument irrésistible amena entre les jurés une scission de sept contre cinq qui nécessita l’adjonction de la Cour ; mais la Cour se réunit à la minorité du Jury. Selon la jurisprudence de ce temps, cette réunion détermina la condamnation. Lorsque son arrêt lui fut prononcé,