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ville, elle fut classée parmi les Ultras. Aux différents griefs que Véronique avait innocemment amassés, l’esprit de parti joignit donc ses exaspérations périodiques : mais comme elle ne perdait rien à cet ostracisme, elle abandonna le monde, et se jeta dans la lecture qui lui offrait des ressources infinies. Elle médita sur les livres, elle compara les méthodes, elle augmenta démesurément la portée de son intelligence et l’étendue de son instruction, elle ouvrit ainsi la porte de son âme à la Curiosité. Durant ce temps d’études obstinées où la religion maintenait son esprit, elle obtint l’amitié de monsieur Grossetête, un de ces vieillards chez lesquels la vie de province a rouillé la supériorité, mais qui, au contact d’une vive intelligence, reprennent par places quelque brillant. Le bonhomme s’intéressa vivement à Véronique qui le récompensa de cette onctueuse et douce chaleur de cœur particulière aux vieillards en déployant, pour lui, le premier, les trésors de son âme et les magnificences de son esprit cultivé si secrètement, et alors chargé de fleurs. Le fragment d’une lettre écrite en ce temps à monsieur Grossetête peindra la situation où se trouvait cette femme qui devait donner un jour les gages d’un caractère si ferme et si élevé.

« Les fleurs que vous m’avez envoyées pour le bal étaient charmantes, mais elles m’ont suggéré de cruelles réflexions. Ces jolies créatures cueillies par vous et destinées à mourir sur mon sein et dans mes cheveux en ornant une fête, m’ont fait songer à celles qui naissent et meurent dans vos bois sans avoir été vues, et dont les parfums n’ont été respirés par personne. Je me suis demandé pourquoi je dansais, pourquoi je me parais, de même que je demande à Dieu pourquoi je suis dans ce monde. Vous le voyez, mon ami, tout est piége pour le malheureux, les moindres choses ramènent les malades à leur mal ; mais le plus grand tort de certains maux est la persistance qui les fait devenir une idée. Une douleur constante n’est-elle pas alors une pensée divine ? Vous aimez les fleurs pour elles-mêmes ; tandis que je les aime comme j’aime à entendre une belle musique. Ainsi, comme je vous le disais, le secret d’une foule de choses me manque. Vous, mon vieil ami, vous avez une passion, vous êtes horticulteur. À votre retour en ville, communiquez-moi votre goût, faites que j’aille à ma serre, d’un pied agile comme vous allez à la vôtre, contempler les développements des plantes, vous épanouir et fleurir avec elles, admirer ce que vous