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que vous souhaitez que je fasse, et soyez sûr de ma parfaite obéissance.

Adieu, mon père, je vous envoie les mille tendresses de votre fils affectionné.

« Adrien GENESTAS. »

— Allons, il faut y aller, s’écria le soldat.

Il commanda de seller son cheval, et se mit en route par une de ces matinées de décembre où le ciel est couvert d’un voile grisâtre, où le vent n’est pas assez fort pour chasser le brouillard à travers lequel les arbres décharnés et les maisons humides n’ont plus leur physionomie habituelle. Le silence était terne, car il est d’éclatants silences. Par un beau temps, le moindre bruit a de la gaieté ; mais par un temps sombre, la nature n’est pas silencieuse, elle est muette. Le brouillard, en s’attachant aux arbres, s’y condensait en gouttes qui tombaient lentement sur les feuilles, comme des pleurs. Tout bruit mourait dans l’atmosphère. Le colonel Genestas, dont le cœur était serré par des idées de mort et par de profonds regrets, sympathisait avec cette nature si triste. Il comparait involontairement le joli ciel du printemps et la vallée qu’il avait vue si joyeuse pendant son premier voyage, aux aspects mélancoliques d’un ciel gris de plomb, à ces montagnes dépouillées de leurs vertes parures, et qui n’avaient pas encore revêtu leurs robes de neige dont les effets ne manquent pas de grâce. Une terre nue est un douloureux spectacle pour un homme qui marche au-devant d’une tombe ; pour lui, cette tombe semble être partout. Les sapins noirs qui, çà et là, décoraient les cimes, mêlaient des images de deuil à toutes celles qui saisissaient l’âme de l’officier ; aussi, toutes les fois qu’il embrassait la vallée dans toute son étendue, ne pouvait-il s’empêcher de penser au malheur qui pesait sur ce Canton, et au vide qu’y faisait la mort d’un homme. Genestas arriva bientôt à l’endroit où, dans son premier voyage, il avait pris une tasse de lait. En voyant la fumée de la chaumière où s’élevaient les enfants de l’hospice, il songea plus particulièrement à l’esprit bienfaisant de Benassis, et voulut y entrer pour faire en son nom une aumône à la pauvre femme. Après avoir attaché son cheval à un arbre, il ouvrit la porte de la maison, sans frapper.

— Bonjour, la mère, dit-il à la vieille, qu’il trouva au coin du feu, et entourée de ses enfants accroupis, me reconnaissez-vous ?