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et vous apprendre que j’étais un de ceux dont la figure lui était connue. En 1815, j’ai prêté le serment. Sans cette faute-là je serais peut-être colonel aujourd’hui ; mais je n’ai jamais eu l’intention de trahir les Bourbons ; dans ce temps-là je n’ai vu que la France à défendre. Je me suis trouvé chef d’escadron dans les grenadiers de la garde impériale, et malgré les douleurs que je ressentais encore de ma blessure, j’ai fait ma partie de moulinet à la bataille de Waterloo. Quand tout a été dit, j’ai accompagné Napoléon à Paris ; puis, lorsqu’il a gagné Rochefort, je l’ai suivi malgré ses ordres ; j’étais bien aise de veiller à ce qu’il ne lui arrivât pas de malheurs en route. Aussi, lorsqu’il vint se promener sur le bord de la mer, me trouva-t-il en faction à dix pas de lui. « — Hé ! bien, Genestas, me dit-il en s’approchant de moi, nous ne sommes donc pas morts ? » Ce mot-là m’a crevé le cœur. Si vous l’aviez entendu, vous auriez frémi, comme moi, de la tête aux pieds. Il me montra ce scélérat de vaisseau anglais qui bloquait le port, et me dit : « — En voyant ça, je regrette de ne m’être pas noyé dans le sang de ma garde ! » — Oui, dit Genestas en regardant le médecin et la Fosseuse, voilà ses propres paroles. « — Les maréchaux qui vous ont empêché de charger vous-même, lui dis-je, et qui vous ont mis dans votre berlingot n’étaient pas vos amis. — Viens avec moi, s’écria-t-il vivement, la partie n’est pas finie. — Sire, je vous rejoindrai volontiers ; mais quant à présent j’ai sur les bras un enfant sans mère, et je ne suis pas libre. » Adrien que vous voyez là m’a donc empêché d’aller à Sainte-Hélène. « — Tiens, me dit-il, je ne t’ai jamais rien donné, tu n’étais pas de ceux qui avaient toujours une main pleine et l’autre ouverte ; voici la tabatière qui m’a servi pendant cette dernière campagne. Reste en France, il y faut des braves après tout ! Demeure au service, souviens-toi de moi. Tu es de mon armée le dernier Égyptien que j’aurai vu debout en France. » Et il me donna une petite tabatière. « — Fais graver dessus : honneur et patrie, me dit-il, c’est l’histoire de nos deux dernières campagnes. » Puis ceux qui l’accompagnaient l’ayant rejoint, je restai pendant toute la matinée avec eux. L’empereur allait et venait sur la côte, il était toujours calme, mais il fronçait parfois les sourcils. À midi, son embarquement fut jugé tout à fait impossible. Les Anglais savaient qu’il était à Rochefort, il fallait ou se livrer à eux ou retraverser la France. Nous étions tous inquiets ! Les minutes étaient comme des heures. Napoléon se trouvait entre les Bourbons qui l’auraient