— Eh ! malheureux, tu perds ton âme ! dit l’oncle en essayant de réveiller chez son neveu les sentiments religieux si puissants dans le cœur des Bretons.
— Mon oncle, si le Roi s’était mis à la tête de ses armées, je ne dis pas que…
— Eh ! imbécile, qui te parle du Roi ? Ta République donne-t-elle des abbayes ? Elle a tout renversé. À quoi veux-tu parvenir ? Reste avec nous, nous triompherons, un jour ou l’autre, et tu deviendras conseiller à quelque parlement.
— Des parlements ?… dit Gudin d’un ton moqueur. Adieu, mon oncle.
— Tu n’auras pas de moi trois louis vaillant, dit l’oncle en colère. Je te déshérite !
— Merci, dit le Républicain.
Ils se séparèrent. Les fumées du cidre versé par le patriote à Coupiau pendant le passage de la petite troupe avaient réussi à obscurcir l’intelligence du conducteur ; mais il se réveilla tout joyeux quand l’aubergiste, après s’être informé du résultat de la lutte, annonça que les Bleus avaient eu l’avantage. Coupiau remit alors en route sa voiture qui ne tarda pas à se montrer au fond de la vallée de La Pèlerine où il était facile de l’apercevoir et des plateaux du Maine et de ceux de la Bretagne, semblable à un débris de vaisseau qui nage sur les flots après une tempête.
Arrivé sur le sommet d’une côte que les Bleus gravissaient alors et d’où l’on apercevait encore La Pèlerine dans le lointain, Hulot se retourna pour voir si les Chouans y séjournaient toujours ; le soleil, qui faisait reluire les canons de leurs fusils, les lui indiqua comme des points brillants. En jetant un dernier regard sur la vallée qu’il allait quitter pour entrer dans celle d’Ernée, il crut distinguer sur la grande route l’équipage de Coupiau.
— N’est-ce pas la voiture de Mayenne ? demanda-t-il à ses deux amis.
Les deux officiers, qui dirigèrent leurs regards sur la vieille turgotine, la reconnurent parfaitement.
— Hé ! bien, dit Hulot, comment ne l’avons-nous pas rencontrée ?
Ils se regardèrent en silence.
— Voilà encore une énigme ? s’écria le commandant. Je commence à entrevoir la vérité cependant.