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mer sans l’efficace intervention des curés. Ceci ne s’adresse point à vous, monsieur Janvier.

— Je ne le prends pas non plus pour moi, répondit en riant le curé. Ne m’attaché-je pas à faire coïncider les dogmes de la religion catholique avec vos vues administratives ? Ainsi j’ai souvent tâché, dans mes instructions pastorales relatives au vol, d’inculquer aux habitants de la paroisse les mêmes idées que vous venez d’émettre sur le droit. En effet, Dieu ne pèse pas le vol d’après la valeur de l’objet volé, il juge le voleur. Tel a été le sens des paraboles que j’ai tenté d’approprier à l’intelligence de mes paroissiens.

— Vous avez réussi, monsieur le curé, dit Cambon. Je puis juger des changements que vous avez produits dans les esprits, en comparant l’état actuel de la Commune à son état passé. Il est certes peu de cantons où les ouvriers soient aussi scrupuleux que le sont les nôtres sur le temps voulu du travail. Les bestiaux sont bien gardés et ne causent de dommages que par hasard. Les bois sont respectés. Enfin vous avez très-bien fait entendre à nos paysans que le loisir des riches est la récompense d’une vie économe et laborieuse.

— Alors, dit Genestas, vous devez être assez content de vos fantassins, monsieur le curé ?

— Monsieur le capitaine, répondit le prêtre, il ne faut s’attendre à trouver des anges nulle part, ici-bas. Partout où il y a misère, il y a souffrance. La souffrance, la misère, sont des forces vives qui ont leurs abus comme le pouvoir a les siens. Quand des paysans ont fait deux lieues pour aller à leur ouvrage et reviennent bien fatigués le soir, s’ils voient des chasseurs passant à travers les champs et les prairies pour regagner plus tôt la table, croyez-vous qu’ils se feront un scrupule de les imiter ? Parmi ceux qui se fraient ainsi le sentier dont se plaignaient ces messieurs tout à l’heure, quel sera le délinquant ? celui qui travaille ou celui qui s’amuse ? Aujourd’hui les riches et les pauvres nous donnent autant de mal les uns que les autres. La foi, comme le pouvoir, doit toujours descendre des hauteurs ou célestes ou sociales ; et certes, de nos jours, les classes élevées ont moins de foi que n’en a le peuple, auquel Dieu promet un jour le ciel en récompense de ses maux patiemment supportés. Tout en me soumettant à la discipline ecclésiastique et à la pensée de mes supérieurs, je crois que, pendant longtemps, nous devrions être moins exigeants sur les