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ment à l’ordre, je les ai souvent admirées quand elles rentrent. Chacune d’elles connaît son rang et laisse entrer celle qui doit passer la première. Voyez ? il existe assez de place entre la bête et le mur pour qu’on puisse la traire ou la panser ; puis le sol est en pente, de manière à procurer aux eaux un facile écoulement.

— Cette étable fait juger de tout le reste, dit Genestas. Sans vouloir vous flatter, voilà de beaux résultats !

— Ils n’ont pas été obtenus sans peine, répondit Benassis ; mais aussi quels bestiaux !

— Certes ils sont magnifiques, et vous aviez raison de me les vanter, répondit Genestas.

— Maintenant, reprit le médecin quand il fut à cheval et qu’il eut passé le portail, nous allons traverser nos nouveaux défrichis et les terres à blé, le petit coin de ma commune que j’ai nommé la Beauce.

Pendant environ une heure, les deux cavaliers marchèrent à travers des champs sur la belle culture desquels le militaire complimenta le médecin ; puis ils regagnèrent le territoire du bourg en suivant la montagne, tantôt parlant, tantôt silencieux, selon que le pas des chevaux leur permettait de parler ou les obligeait à se taire.

— Je vous ai promis hier, dit Benassis à Genestas en arrivant dans une petite gorge par laquelle les deux cavaliers débouchèrent dans la grande vallée, de vous montrer un des deux soldats qui sont revenus de l’armée après la chute de Napoléon. Si je ne me trompe, nous allons le trouver à quelques pas d’ici recreusant une espèce de réservoir naturel où s’amassent les eaux de la montagne, et que les atterrissements ont comblé. Mais pour vous rendre cet homme intéressant, il faut vous raconter sa vie. Il a nom Gondrin, reprit-il, il a été pris par la grande réquisition de 1792, à l’âge de dix-huit ans, et incorporé dans l’artillerie. Simple soldat, il a fait les campagnes d’Italie sous Napoléon, l’a suivi en Égypte, est revenu d’Orient à la paix d’Amiens ; puis, enrégimenté sous l’Empire dans les pontonniers de la Garde, il a constamment servi en Allemagne. En dernier lieu, le pauvre ouvrier est allé en Russie.

— Nous sommes un peu frères, dit Genestas, j’ai fait les mêmes campagnes. Il a fallu des corps de métal pour résister aux fantaisies de tant de climats différents. Le bon Dieu a, par ma foi, donné quelque brevet d’invention pour vivre à ceux qui sont encore sur