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à goutte. De chaque côté, mêmes combats sous d’autres formes. Il ne suffit pas d’être homme de bien pour civiliser le plus humble coin de terre, il faut encore être instruit ; puis l’instruction, la probité, le patriotisme, ne sont rien sans la volonté ferme avec laquelle un homme doit se détacher de tout intérêt personnel pour se vouer à une pensée sociale. Certes, la France renferme plus d’un homme instruit, plus d’un patriote par Commune ; mais je suis certain qu’il n’existe pas dans chaque Canton un homme qui, à ces précieuses qualités, joigne le vouloir continu, la pertinacité du maréchal battant son fer. L’homme qui détruit et l’homme qui construit sont deux phénomènes de volonté ; l’un prépare, l’autre achève l’œuvre ; le premier apparaît comme le génie du mal, et le second semble être le génie du bien. À l’un la gloire, à l’autre l’oubli. Le mal possède une voix éclatante qui réveille les âmes vulgaires et les remplit d’admiration, tandis que le bien est longtemps muet. L’amour-propre humain a bientôt choisi le rôle le plus brillant. Une œuvre de paix, accomplie sans arrière-pensée individuelle, ne sera donc jamais qu’un accident, jusqu’à ce que l’éducation ait changé les mœurs de la France. Quand ces mœurs seront changées, quand nous serons tous de grands citoyens, ne deviendrons-nous pas, malgré les aises d’une vie triviale, le peuple le plus ennuyeux, le plus ennuyé, le moins artiste, le plus malheureux qu’il y aura sur la terre ? Ces grandes questions, il ne m’appartient pas de les décider, je ne suis pas à la tête du pays. À part ces considérations, d’autres difficultés s’opposent encore à ce que l’Administration ait des principes exacts. En fait de civilisation, monsieur, rien n’est absolu. Les idées qui conviennent à une contrée sont mortelles dans une autre, et il en est des intelligences comme des terrains. Si nous avons tant de mauvais administrateurs, c’est que l’administration, comme le goût, procède d’un sentiment très élevé, très pur. En ceci le génie vient d’une tendance de l’âme et non d’une science. Personne ne peut apprécier ni les actes ni les pensées d’un administrateur, ses véritables juges sont loin de lui, les résultats plus éloignés encore. Chacun peut donc se dire sans péril administrateur. En France, l’espèce de séduction qu’exerce l’esprit nous inspire une grande estime pour les gens à idées ; mais les idées sont peu de chose là où il ne faut qu’une volonté. Enfin l’administration ne consiste pas à imposer aux masses des idées ou des méthodes plus ou moins justes, mais à imprimer aux idées mauvaises ou bonnes de ces