À peine avait-on vu sa grosse tête que trente canons de fusils se levèrent ; mais semblable à une figure fantasmagorique, il avait disparu derrière les fatales touffes de genêts. Ces événements, qui exigent tant de mots, se passèrent en un moment ; puis, en un moment aussi, les patriotes et les soldats de l’arrière-garde rejoignirent le reste de l’escorte.
— En avant ! s’écria Hulot.
La compagnie se porta rapidement à l’endroit élevé et découvert où le piquet avait été placé. Là, le commandant mit la compagnie en bataille ; mais il n’aperçut aucune démonstration hostile de la part des Chouans, et crut que la délivrance des conscrits était le seul but de cette embuscade.
— Leurs cris, dit-il à ses deux amis, m’annoncent qu’ils ne sont pas nombreux. Marchons au pas accéléré, nous atteindrons peut-être Ernée sans les avoir sur le dos.
Ces mots furent entendus d’un conscrit patriote qui sortit des rangs et se présenta devant Hulot.
— Mon général, dit-il, j’ai déjà fait cette guerre-là en contre-chouan. Peut-on vous toucher deux mots ?
— C’est un avocat, cela se croit toujours à l’audience, dit le commandant à l’oreille de Merle. — Allons, plaide, répondit-il au jeune Fougerais.
— Mon commandant, les Chouans ont sans doute apporté des armes aux hommes avec lesquels ils viennent de se recruter. Or, si nous levons la semelle devant eux, ils iront nous attendre à chaque coin de bois, et nous tueront jusqu’au dernier avant que nous arrivions à Ernée. Il faut plaider, comme tu le dis, mais avec des cartouches. Pendant l’escarmouche, qui durera encore plus de temps que tu ne le crois, l’un de mes camarades ira chercher la garde nationale et les compagnies franches de Fougères. Quoique nous ne soyons que des conscrits, tu verras alors si nous sommes de la race des corbeaux.
— Tu crois donc les Chouans bien nombreux ?
— Juges-en toi-même, citoyen commandant !
Il amena Hulot à un endroit du plateau où le sable avait été remué comme avec un râteau ; puis, après le lui avoir fait remarquer, il le conduisit assez avant dans un sentier où ils virent les vestiges du passage d’un grand nombre d’hommes. Les feuilles y étaient empreintes dans la terre battue.