Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sautant d’une branche à une autre, et vint se frotter contre les jambes du soldat en faisant le gros dos à la manière des chattes. Puis, regardant son hôte d’un œil dont l’éclat était devenu moins inflexible, elle jeta ce cri sauvage que les naturalistes comparent au bruit d’une scie.

— Elle est exigeante ! s’écria le Français en souriant. Il essaya de jouer avec les oreilles, de lui caresser le ventre et lui gratter fortement la tête avec ses ongles. Et, s’apercevant de ses succès, il lui chatouilla le crâne avec la pointe de son poignard, en épiant l’heure de la tuer ; mais la dureté des os le fit trembler de ne pas réussir.

La sultane du désert agréa les talents de son esclave en levant la tête, en tendant le cou, en accusant son ivresse par la tranquillité de son attitude. Le Français songea soudain que, pour assassiner d’un seul coup cette farouche princesse, il fallait la poignarder dans la gorge, et il levait la lame, quand la panthère, rassasiée sans doute, se coucha gracieusement à ses pieds en jetant de temps en temps des regards où, malgré une rigueur native, se peignait confusément de la bienveillance. Le pauvre Provençal mangea ses dattes, en s’appuyant sur un des palmiers ; mais il lançait tour à tour un œil investigateur sur le désert pour y chercher des libérateurs, et sur sa terrible compagne pour en épier la clémence incertaine. La panthère regardait l’endroit où les noyaux de datte tombaient, chaque fois qu’il en jetait un, et ses yeux exprimaient alors une incroyable méfiance. Elle examinait le Français avec une prudence commerciale ; mais cet examen lui fut favorable, car lorsqu’il eut achevé son maigre repas, elle lui lécha ses souliers, et, d’une langue rude et forte, elle en enleva miraculeusement la poussière incrustée dans les plis.

— Mais quand elle aura faim ?… pensa le Provençal. Malgré le frisson que lui causa son idée, le soldat se mit à mesurer curieusement les proportions de la panthère, certainement un des plus beaux individus de l’espèce, car elle avait trois pieds de hauteur et quatre pieds de longueur, sans y comprendre la queue. Cette arme puissante, ronde comme un gourdin, était haute de près de trois pieds. La tête, aussi grosse que celle d’une lionne, se distinguait par une rare expression de finesse ; la froide cruauté des tigres y dominait bien, mais il y avait aussi une vague ressemblance avec la physionomie d’une femme artificieuse. Enfin la figure de cette reine solitaire révélait en ce moment une sorte de gaieté semblable