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UNE PASSION DANS LE DÉSERT


— Ce spectacle est effrayant ! s’écria-t-elle en sortant de la ménagerie de monsieur Martin.

Elle venait de contempler ce hardi spéculateur travaillant avec sa hyène, pour parler en style d’affiche.

— Par quels moyens, dit-elle en continuant, peut-il avoir apprivoisé ses animaux au point d’être assez certain de leur affection pour…

— Ce fait, qui vous semble un problème, répondis-je en l’interrompant, est cependant une chose naturelle…

— Oh ! s’écria-t-elle en laissant errer sur ses lèvres un sourire d’incrédulité.

— Vous croyez donc les bêtes entièrement dépourvues de passions ? lui demandai-je, apprenez que nous pouvons leur donner tous les vices dus à notre état de civilisation.

Elle me regarda d’un air étonné.

— Mais, repris-je, en voyant monsieur Martin pour la première fois, j’avoue qu’il m’est échappé, comme à vous, une exclamation de surprise. Je me trouvais alors près d’un ancien militaire amputé de la jambe droite entré avec moi. Cette figure m’avait frappé. C’était une de ces têtes intrépides, marquées du sceau de la guerre et sur lesquelles sont écrites les batailles de Napoléon. Ce vieux soldat avait surtout un air de franchise et de gaieté qui me prévient toujours favorablement. C’était sans doute un de ces troupiers que rien ne surprend, qui trouvent matière à rire dans la dernière grimace d’un camarade, l’ensevelissent ou le dépouillent gaiement, interpellent les boulets avec autorité, dont enfin les délibérations sont courtes, et qui fraterniseraient avec le diable. Après avoir regardé fort attentivement le propriétaire de la ménagerie au moment où il sortait de la loge, mon compagnon plissa ses lèvres de manière à formuler un dédain moqueur par cette espèce de moue