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sentaient à l’œil comme une enfilade de portes, car la nudité des arbres et des haies permettait de bien voir les moindres accidents du paysage. Quand le large chapeau de Galope-chopine eut tout à fait disparu, mademoiselle de Verneuil se retourna vers la gauche pour voir l’église de Fougères ; mais le hangar la lui cachait entièrement. Elle jeta les yeux sur la vallée du Couësnon qui s’offrait à ses regards, comme une vaste nappe de mousseline dont la blancheur rendait plus terne encore un ciel gris et chargé de neige. C’était une de ces journées où la nature semble muette, et où les bruits sont absorbés par l’atmosphère. Aussi, quoique les Bleus et leurs Contre-Chouans marchassent dans la campagne sur trois lignes, en formant un triangle qu’ils resserraient en s’approchant de la cabane, le silence était si profond que mademoiselle de Verneuil se sentit émue par des circonstances qui ajoutaient à ses angoisses une sorte de tristesse physique. Il y avait du malheur dans l’air. Enfin, à l’endroit où un petit rideau de bois terminait l’enfilade d’échaliers, elle vit un jeune homme sautant les barrières comme un écureuil, et courant avec une étonnante rapidité.

— C’est lui, se dit-elle.

Simplement vêtu comme un Chouan, le Gars portait son tromblon en bandoulière derrière sa peau de bique, et, sans la grâce de ses mouvements, il aurait été méconnaissable. Marie se retira précipitamment dans la cabane, en obéissant à l’une de ces déterminations instinctives aussi peu explicables que l’est la peur ; mais bientôt le jeune chef fut à deux pas d’elle devant la cheminée, où brillait un feu clair et animé. Tous deux se trouvèrent sans voix, craignirent de se regarder, ou de faire un mouvement. Une même espérance unissait leur pensée, un même doute les séparait, c’était une angoisse, c’était une volupté.

— Monsieur, dit enfin mademoiselle de Verneuil d’une voix émue, le soin de votre sûreté m’a seul amenée ici.

— Ma sûreté ! reprit-il avec amertume.

— Oui, répondit-elle, tant que je resterai à Fougères, votre vie est compromise, et je vous aime trop pour n’en pas partir ce soir ; ne m’y cherchez donc plus.

— Partir, chère ange ! je vous suivrai.

— Me suivre ! y pensez-vous ? et les Bleus ?

— Eh ! ma chère Marie, qu’y a-t-il de commun entre les Bleus et notre amour ?