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nous reposions. Je crois que les brigands doivent être maintenant dans les environs de cette grande baraque d’où vous voyez sortir de la fumée.

— Bon ! s’écria Gudin. Vous autres, dit-il aux huit soldats et à Beau-pied, vous allez vous replier sur les rochers de Saint-Sulpice, à travers les champs, et vous y appuierez la ligne de sentinelles que le commandant y a établie. Il ne faut pas que vous restiez avec nous autres, puisque vous êtes en uniforme. Nous voulons, mille cartouches ! venir à bout de ces chiens-là, le Gars est avec eux ! Les camarades vous en diront plus long que je ne vous en dis. Filez sur la droite, et n’administrez pas de coups de fusil à six de nos peaux de bique que vous pourrez rencontrer. Vous reconnaîtrez nos Contre-Chouans à leurs cravates qui sont roulées en corde sans nœud.

Gudin laissa ses deux blessés sous le pommier, en se dirigeant vers la maison de Galope-chopine, que Beau-pied venait de lui indiquer et dont la fumée lui servit de boussole. Pendant que le jeune officier était mis sur la piste des Chouans par une rencontre assez commune dans cette guerre, mais qui aurait pu devenir plus meurtrière, le petit détachement que commandait Hulot avait atteint sur sa ligne d’opérations un point parallèle à celui où Gudin était parvenu sur la sienne. Le vieux militaire, à la tête de ses Contre-Chouans, se glissait silencieusement le long des haies avec toute l’ardeur d’un jeune homme, il sautait les échaliers encore assez légèrement en jetant ses yeux fauves sur toutes les hauteurs, et prêtant, comme un chasseur, l’oreille au moindre bruit. Au troisième champ dans lequel il entra, il aperçut une femme d’une trentaine d’années, occupée à labourer la terre à la houe, et qui, toute courbée, travaillait avec courage ; tandis qu’un petit garçon âgé d’environ sept à huit ans, armé d’une serpe, secouait le givre de quelques ajoncs qui avaient poussé çà et là, les coupait et les mettait en tas. Au bruit que fit Hulot en retombant lourdement de l’autre côté de l’échalier, le petit gars et sa mère levèrent la tête. Hulot prit facilement cette jeune femme pour une vieille. Des rides venues avant le temps sillonnaient le front et la peau du cou de la Bretonne, elle était si grotesquement vêtue d’une peau de bique usée, que sans une robe de toile jaune et sale, marque distinctive de son sexe, Hulot n’aurait su à quel sexe la paysanne appartenait, car les longues mèches de ses cheveux noirs étaient cachées sous un bonnet